Adolescente fougueuse et passionnée, Elisa (Diane Rouxel) souhaite profiter de l'été dans la maison familiale du Vercors où elle a grandi. Elle est sur le point de partir pour voler de ses propres ailes lorsque sa mère s'en va et la laisse seule avec son père (Cédric Kahn) pour s'occuper de sa sœur handicapée. Une responsabilité de plus en plus lourde qui la fait basculer de l'amour à la haine, jusqu'à perdre pied. Le film Marche ou crève s'inspire de l'histoire de Margaux Bonhomme, la réalisatrice, qui a grandi avec une sœur polyhandicapée, mais c'est aussi celle de millions d'aidants, tiraillés entre l'amour qu'ils ressentent pour leur proche et les difficultés à s'occuper d'une personne entièrement dépendante. Après avoir réalisé le court-métrage Bel canto, sur un jeune en situation de handicap qui veut intégrer une chorale et devient chanteur, Margaux Bonhomme a décidé, dans son premier long-métrage (1h25), d'aborder ce sujet personnel « plus frontalement ».
Dans les yeux d'Elisa
Dès les premières secondes, le spectateur est plongé dans le quotidien d'une famille brisée. Brisée par l'absence d'une mère et « l'omniprésence » d'une sœur polyhandicapée. Il ressent cette frustration à travers les yeux d'Elisa, l'aînée. Un caractère bien trempé dans un physique angélique qui nous embarque dans une période décisive de sa vie, à mi-chemin entre le monde de l'enfance et celui, concret, des adultes. « J'aime le cinéma de point de vue, où l'on reste collé à l'optique du personnage, à sa subjectivité, sa fragilité. C'est en comprenant véritablement de l'intérieur les émotions que celui-ci éprouve que l'empathie peut naître chez le spectateur et que son regard peut changer. Elisa va droit dans le mur mais on sait pourquoi et on conçoit également qu'à un moment donné, elle puisse décider de prendre une autre direction », explique Margaux Bonhomme.
Dans un centre spécialisé ?
Les adolescentes sont très proches : jouent, dansent, chantent... Envoyer Manon dans un centre spécialisé ? Hors de question ! Le père et la fille se battent contre tous ceux qui évoquent cette idée, y compris la mère, qui a préféré quitter le navire familial pour garder la tête hors de l'eau. Jusqu'à ce que les « crises » de Manon projettent subitement sa sœur au rang de mère. Elisa est déboussolée mais essaye tant bien que mal de la calmer, la rassurer. Le handicap de Manon prend beaucoup de place, beaucoup trop. Elisa en veut à son père de se préoccuper uniquement de sa sœur et reproche à sa mère, au contraire, de ne plus s'en soucier. Jusqu'à faire naître des intentions extrêmes…
Une interprétation hors-norme !
Le ton est « cash ». Des cris perçants, interminables, des gestes violents... Une réalité parfaitement transcrite ; le spectateur observe, médusé, des scènes déroutantes, voire pénibles. « J'ai évidemment un regard original sur le sujet, confirme la réalisatrice. Jusqu'à mon entrée à l'école, le handicap était mon quotidien et ma normalité. Ce n'est qu'au contact de l'extérieur que j'ai compris qu'il pouvait poser problème. » L'interprétation est si intense qu'il est impossible d'imaginer que l'actrice joue un rôle. Et pourtant... Dans la peau de Manon, Jeanne Cohendy livre une performance absolument « bluffante ». « J'ai longtemps imaginé tourner avec une personne réellement handicapée, je pensais pouvoir adapter le scénario. J'ai commencé mes recherches et compris que non seulement je n'y parviendrais pas mais, qu'en plus, j'allais sans doute imposer à cette femme des situations désagréables. Et puis Jeanne est arrivée, elle dépassait tout ce que j'avais imaginé. », se remémore Margaux Bonhomme.
La juste réalité
Ce long-métrage bouscule les codes mais a le mérite de mettre en lumière le quotidien des familles confrontées au handicap. Nul doute qu'elles s'y reconnaîtront mais reste à savoir si le grand public sera en mesure de supporter cet électrochoc. Ces dernières années, le handicap s'invite très souvent dans les scénarios. Très récemment, plusieurs films à l'affiche (Chacun pour tous, L'homme pressé, Le grand bain, Champions, Tout le monde debout ou encore Monsieur Je-sais-tout) ont pris le parti de l'humour, comme ce fut le cas pour le carton historique Intouchables. Marche ou crève a choisi un autre angle d'attaque. Alors que l'humour permet d'y être confronté avec le sourire et de faire passer la pilule auprès des « non-initiés », Marche ou crève s'inscrit dans une tout autre réalité, juste, brute, authentique. En clair, rendez-vous dans les salles obscures le 5 décembre 2018.