*Fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique
Handicap.fr : Une vaste réforme de la politique de l'emploi est en cours. De quelle manière va-t-elle impacter les travailleurs handicapés ?
Marc Desjardins, directeur du Fiphfp : Nous l'attendions, nous la réclamions de tous nos voeux. Nous sommes conscients que les choses bougent, qu'il y aura plus de mobilité à l'avenir entre le public et le privé, que de nouvelles aides deviennent plus indispensables tandis que d'autres sont moins nécessaires. Nous abordons donc cette réforme avec une philosophie positive…
H.fr : Il y a pourtant de gros bémols…
MD : Oui, il ne faut pas le nier, car le processus est relativement complexe et fait que nous n'avons pas une grande visibilité. Elle se déroule en trois phases. La première porte sur la déclaration d'emploi des travailleurs handicapés dans le cadre de la loi Pénicaud. Une mesure importante a été décidée : l'Éducation nationale va contribuer au financement de la politique handicap à partir de 2021, par tranche de 10%, alors qu'aujourd'hui elle en est totalement exonérée tout en bénéficiant quand même de nos aides.
H.fr : Sur quoi va porter la deuxième tranche de la réforme ?
MD : Sur les aides. Il va falloir analyser ce qui se passe au niveau national entre le Fiphfp et l'Agefiph et comment cela s'articule au niveau local en s'appuyant sur le récent rapport de Dominique Gillot (article en lien ci-dessous). Nous sommes conscients de la complexité du système actuel, à la fois pour les travailleurs et les intermédiaires (médecins du travail, référents handicap…). Nous souhaitons donc un cycle de réunions tripartites avec l'État et l'Agefiph afin de passer en revue notre catalogue des interventions et en proposer un commun. Il nous faudra néanmoins conserver les nuances qui peuvent être spécifiques à la fonction publique, notamment en ce qui concerne le maintien dans l'emploi puisqu'on observe, dans le privé, de nombreux licenciements d'office pour inaptitude alors que c'est très rare dans le public.
H.fr : Et quelle sera la troisième phase ?
MD : C'est celle qui nous concerne plus particulièrement ; elle va porter sur la structuration de la politique handicap avec un dispositif annoncé dans un article de la loi Pénicaud, c'est-à-dire la possibilité pour le gouvernement de prendre des ordonnances jusqu'au 31 décembre 2019 dans ce domaine. Enfin, c'est ce que j'ai compris…
Dernier élément de ce tableau, il y a, d'une part, cette réflexion globale menée par trois ministres, Bruno Lemaire (économie), Sophie Cluzel (handicap) et Muriel Pénicaud (travail), et une autre, plus spécifique à la fonction publique, menée par Olivier Dussopt (secrétaire d'État auprès du ministre de l'Action et des comptes publics) avec un cycle de négociations un peu différent. C'est un environnement relativement complexe mais, en même temps, qui nous satisfait car cela montre que la spécificité de la fonction publique est bien prise en compte. Nous sommes soutenus par les syndicats et les associations pour tirer le meilleur profit de cette réforme nécessaire qui doit proposer une politique de l'emploi plus dynamique.
H.fr : On reste quand même dans un grand flou, y compris en ce qui concerne le transfert évoqué de certaines responsabilités vers Pôle emploi.
DP : Ce n'est pas nouveau. C'est une idée qui a germé il y a quelques mois, déjà mentionnée dans le rapport Igas en février 2018 (article en lien ci-dessous). Que Pôle emploi prenne en compte la situation des personnes handicapées, on ne peut que s'en réjouir mais de là à ce que cet organisme soit en capacité de remplacer le Fiphfp et l'Agefiph sur un parcours complet, je pense qu'il faudra un peu de temps, de formation et d'organisation… Je me satisfais néanmoins de voir que des dispositions particulières au sein de Pôle emploi pourraient être prises pour mieux accompagner les 510 000 travailleurs handicapés en recherche d'emploi.
H.fr : Comment cette réforme peut changer la donne en termes de financement, pour contrer l'effet ciseau qui menace Fiphfp et Agefiph, c'est-à-dire moins de contributions des entreprises/plus de besoin d'accompagnement. On ne sait toujours pas où trouver les ressources supplémentaires ?
Dominique Perriot, président du Fiphfp : Il y a des bonnes nouvelles, comme la contribution de l'Education nationale ou encore le maintien du quota de 6 % car on ne savait pas si ce chiffre allait être conservé même si je regrette qu'on abandonne la clause de revoyure qui aurait permis, tous les 5 ans, de fixer un taux d'emploi des travailleurs handicapés en corrélation avec celui des personnes handicapées dans la population. C'est dommage, même si rien n'est encore perdu tant que la loi n'est pas votée définitivement. Il faudra peut-être l'augmenter petit à petit. Le taux de 6.6 % est évoqué.
H.fr : Votre fonds n'a plus le temps d'attendre, non ? Donc, tout de suite, on fait quoi ?
DP : Les réformes en cours ne règlent en effet pas cette question critique. Nous avons compris qu'il y aura des choses positives en 2020, 2021, 2022. Mais, en attendant, nos ressources baissent, nos réserves sont presque épuisées, et le comité national va devoir, dans quelques mois, voter un budget 2019. Il faut donc, rapidement, qu'un certain nombre de mesures soient prises pour que les ressources et dépenses soient équilibrées. Les employeurs et les associations du champ du handicap vont se retrouver pendant deux ans avec de grandes frustrations car il y a des choses que l'on faisait et qu'on ne pourra peut-être plus faire. Ce que nous avons compris, c'est qu'il n'y a pas de véhicule législatif (de loi) qui permettrait de reprendre ou de compléter la loi handicap de 2005 ; c'est donc cette dernière qui va continuer de s'appliquer, avec ses avantages et ses inconvénients. Mais toutes les réformes en cours vont pourtant impacter l'emploi des travailleurs handicapés. Pour être plus concret, il va y avoir un train dont, pour le moment, on ne connait pas le nombre de wagons mais nous verrons s'il peut satisfaire les personnes que nous accompagnons sur leurs trajectoires professionnelles dans un ou deux ans, une fois que tous les textes en cours seront votés. Pour l'instant, pas de grande visibilité !
H.fr : Avez-vous peur d'être mangé par l'Agefiph ?
DP : Il ne faut pas se tromper de combat, nous sommes complémentaires. Nous avons été rassurés sur la pérennité du Fiphfp tel qu'il existe aujourd'hui. Rien ne le remet en cause. Ce qui nous est demandé, et c'est normal, c'est de collaborer davantage avec l'Agefiph. On le faisait jusqu'à présent, peut-être assez discrètement. L'avantage, c'est que, via ce système, l'État a la main sur sa politique d'emploi des personnes handicapées dans la fonction publique. La question, à l'inverse, s'il n'y avait qu'un seul opérateur, qui ne pourrait pas être l'Agefiph parce que c'est un système associatif et que le Fiphfp reçoit des fonds publics, c'est donc quelle place aurait l'État dans cette politique ? Depuis le début, je n'ai donc jamais été inquiet sur une possible fusion. Mais si les députés, parce que c'est le législateur qui décide, en décidaient autrement, on verrait comment s'organiser. Grâce à l'expérience de 13 ans, notre fonds n'est pas seulement un opérateur, un guichet, un distributeur d'argent mais a une expertise, avec des agents sur le terrain dans toute la France. Et inclure une personne dans les Alpes-de-Haute-Provence ce n'est pas la même chose que dans la petite couronne parisienne. Il y a des différences énormes selon les territoires et, grâce à notre maillage, nous avons une expertise reconnue, complémentaire de celle de l'Agefiph. Comme cela a déjà été évoqué, nous pourrions avoir un comité scientifique commun ou travailler ensemble sur un certain nombre d'axes.
H.fr : Parlons maintenant actu, quelles sont celles du Fiphfp ?
MD : Le premier élément, c'est la fusion des Cap emploi/ Sameth au 1er janvier 2018, très positive car elle instaure une fluidité, une continuité, entre le recrutement et le maintien, avec un même conseiller.
H.fr : Le deuxième sujet, c'est l'emploi accompagné…
MD : Il a été mis en place par la loi de 2016. Le Fiphfp avait déjà un dispositif d'emploi accompagné et nous sommes convaincus que c'est le moyen pour assurer la médiation entre l'employeur et la personne en situation de handicap et réussir son insertion puis son maintien dans l'emploi dans la durée. Mais il faudrait multiplier cet effort par dix. Il y a à peu près 1 000 personnes concernées par an et il faudrait passer à 10 000 pour que l'on soit à l'étayage de ce qui est pratiqué dans d'autres pays depuis plus longtemps que nous.
H.fr : L'apprentissage est également un levier intéressant…
MD : Oui, c'est le troisième point sur lequel nous sommes extrêmement mobilisés. C'est d'ailleurs l'un des objectifs de la politique gouvernementale. Il faut maintenant transformer l'essai. Même si certains trouvent du travail ailleurs, un tiers seulement des apprentis formés par la fonction publique y sont titularisés. De son côté, l'Agefiph estime que 60% sont en emploi deux ans après leur stage d'apprentissage. Ces chiffres ne sont pas contradictoires mais complémentaires.
H.fr : Et en matière d'autisme, des pistes ?
MD : Oui, nous sommes également associés à la Stratégie autisme mis en œuvre par le gouvernement en avril 2018. Très peu de personnes autistes sont en emploi, de l'ordre de 10%. Des aménagements simples peuvent pourtant permettre à une partie d'entre eux de travailler dans de bonnes conditions, notamment en adaptant l'organisation de la journée, en proposant un environnement calme et serein, sans perturbation.
H.fr : Un autre défi, c'est l'accessibilité numérique.
MD : En effet, le manque d'accessibilité dans ce domaine peut être un facteur très discriminant. Par exemple, les personnes handicapées qui travaillent au ministère des Finances ont vu un nouveau logiciel arriver sans pouvoir s'en servir. Or le numérique est vraiment un facteur de progrès, par exemple pour les personnes malvoyantes mais aussi sourdes et malentendantes, et une source de nouveaux métiers.