En France, le numérique (re)panse la psychiatrie

Parent pauvre de la recherche en France, la psychiatrie est pourtant à l'aube d'une nouvelle ère grâce au numérique. Biomarqueurs, imagerie cérébrale, collectes de données promettent de révolutionner le diagnostic et la prise en charge des patients

• Par
Illustration article En France, le numérique (re)panse la psychiatrie

« En France, on est très bon en couture. En psychiatrie, il est temps de passer, non pas au même tailleur pour tous mais à de la médecine de précision inspirée de la haute-couture », illustre Marion Leboyer, psychiatre, directrice de la fondation FondaMental lors du colloque « Maladies mentales et santé mentale : quelles solutions grâce à la recherche et à l'innovation ? », le 24 novembre 2022 à Paris. Son objectif est d'envisager les possibilités qui s'offrent à la recherche en santé mentale, notamment via les nouvelles technologies. Parce que les besoins sont immenses, ce chantier s'annonce colossal. Un Français sur trois est en effet concerné par une maladie mentale au cours de sa vie, selon la fondation FondaMental.

La recherche en psychiatrie à la peine

Les troubles psychiques représentent d'ailleurs le premier poste de remboursement de l'Assurance maladie, surtout depuis la pandémie. Depuis 2020, les troubles anxieux ont augmenté de 20 % et les cas de dépression ont bondi de 30 %. Pourtant, seulement 2 % de la recherche médicale est consacrée à la psychiatrie en France, contre quatre à cinq fois plus au Royaume-Uni et aux Etats-Unis. « Il est temps de sortir de cette situation qui condamne des millions de nos concitoyens à subir leur maladie plutôt qu'à la combattre, avec un arsenal thérapeutique très largement insuffisant », arguent les signataires* d'une tribune publiée le 24 novembre 2022 dans Le Monde.

Développer une psychiatrie de précision

« La science et la technologie offrent aujourd'hui des opportunités sans précédent qu'il faut saisir, sans attendre, pour améliorer la prévention, le traitement et les soins des personnes malades », poursuivent-ils. « Innover en psychiatrie, c'est possible », pointe Marion Leboyer. Et cela commence par la collecte des données du patient. La start-up Sêmeia en a fait sa spécialité grâce aux logiciels de télésuivi qu'elle a mis au point. « Tout ce qu'on collecte, à travers l'espace numérique de santé du patient, les laboratoires d'analyse, les outils connectés, c'est intéressant pour la psychiatrie », explique Daniel Szeftel, président de Sêmeia. Si dans certaines maladies comme le diabète, les indices d'un début de crise sont facilement identifiables (le taux de glycémie), en psychiatrie c'est plus compliqué face à la multiplicité des facteurs déclencheurs. Un suivi au long cours via la récolte des données numériques personnelles - « intelligemment exploitées », rassure Daniel Szeftel - permettrait ainsi de mieux prévenir un trouble psychique éventuel. « L'approche doit être pragmatique, au croisement de l'intuition des psychiatres et de la prouesse technologique. L'idée, c'est de pouvoir agir avant que les symptômes soient assez évidents pour qu'on n'ait pas besoin de l'intelligence artificielle », précise-t-il.

La promesse des biomarqueurs

La recherche de biomarqueurs dans l'organisme doit aussi permettre d'affiner le diagnostic.  Nicolas Glaichenhaus, chercheur à l'Université Côte-d'Azur en a fait son cœur de métier. Co-fondateur de la start-up CyBieHo, il s'est notamment intéressé au diagnostic des patients atteints d'un trouble bipolaire, souvent soignés, à tort, pour un trouble dépressif. « 10 à 20 % des patients traités pour dépression sont en fait bipolaires », explique-t-il. Résultat, les traitements prescrits, à savoir des antidépresseurs ou des anxiolytiques, au lieu de régulateurs de l'humeur, peuvent aggraver les symptômes. CyBieHo, qui a reçu le prix Marcel Dassault 2022 pour l'innovation en psychiatrie, propose de diagnostiquer avec précision la bipolarité par une simple analyse de sang. Celle-ci doit révéler la présence ou non d'un biomarqueur spécifique de la bipolarité, des « cytokines » (protéines qui régulent notamment le système neuroendocrinien). « Ce test pourra être utilisable en soin primaire, donc directement chez son médecin généraliste », promet Nicolas Glaichenhaus.

L'imagerie cérébrale de pointe

L'imagerie cérébrale peut, elle aussi, permettre de mieux cibler la réponse thérapeutique. Dans le cas d'hallucinations « pharmaco-résistantes », la stimulation électromagnétique peut être efficace. Si, et seulement si, la zone cérébrale « lésée » est préalablement identifiée. Pour ce faire, Renaud Jardri, pédopsychiatre au CHU de Lille, et chercheur à l'Inserm, a mené une étude sur les effets de la stimulation magnétique transcrânienne en cas d'hallucinations grâce à l'imagerie cérébrale. « L'objectif est d'obtenir une signature physiologique de l'hallucination en temps réel », indique le scientifique. « Ensuite, on va pouvoir personnaliser le choix de la cible cérébrale qui va recevoir la stimulation magnétique ». « Plutôt que de parler d'anatomie et d'image globale, on parle de neurochirurgie de précision », complète Thomas Brionne, clinical scientist au sein de Medtronic, leader mondial des technologies pour le secteur médical.

Des plateformes pour les patients

Une fois le diagnostic posé et la stratégie thérapeutique déterminée, le patient entre dans ce qu'on appelle un « parcours de soin ». Pour l'y accompagner au mieux, là encore, le numérique a toute sa place. Des plateformes gratuites et interactives, à destination du grand public, se sont multipliées depuis le début de la crise sanitaire (article en lien ci-dessous). Une première plateforme « Ecoute étudiants Ile-de-France » a vu le jour en 2021, suivie il y a peu du site « Post COVID NeuroPsy », imaginées à chaque fois par la fondation FondaMental. L'objectif ? « Donner les moyens aux patients d'être acteurs de leur prise en charge », affirme Marion Leboyer.

* Clarisse Angelier, déléguée générale de l'Association nationale de la recherche et de la technologie ; Alexis Brice, directeur général de l'Institut du cerveau ; Thierry Hulot, président du syndicat Les entreprises du médicament (Leem) ; Marion Leboyer, directrice générale de la Fondation FondaMental ; Franck Mouthon, président de France Biotech.

©Canva

Partager sur :
  • LinkedIn
  • Twitter
  • Facebook
"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Clotilde Costil, journaliste Handicap.fr"
Commentaires2 Réagissez à cet article

Thèmes :

Handicap.fr vous suggère aussi...
2 commentaires

Rappel :

  • Merci de bien vouloir éviter les messages diffamatoires, insultants, tendancieux...
  • Pour les questions personnelles générales, prenez contact avec nos assistants
  • Avant d'être affiché, votre message devra être validé via un mail que vous recevrez.