Futur CNCPH : des personnes handicapées et rien d'autre?

100 % de personnes handicapées au sein du CNCPH, exit les autres ! Cette proposition emblématique parmi les 37 en débat au Conseil pour dessiner sa future mandature promet des échanges "nourris" (houleux?). Le point avec son président, Jérémie Boroy.

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A quoi va ressembler le Conseil national consultatif des personnes handicapées dont l'actuelle mandature a été prolongée jusqu'en juillet 2023 afin d'accompagner la participation de ses membres à la préparation de la Conférence nationale du handicap (CNH) prévue au printemps ? Par la voix de son président, Jérémie Boroy, le Conseil soumet à ses membres 37 propositions, document qui sert de base de travail pour un premier échange prévu le 16 février au sein de la commission Territoires et citoyenneté, poursuivi le lendemain lors de la séance plénière. Objectif ? Assurer une plus grande participation et une meilleure représentation des personnes handicapées. Parmi ces propositions : le rattachement du Conseil au Premier ministre, la rédaction d'un rapport annuel sur l'état de la France en matière de handicap, plus de pouvoir politique, l'élection du président, la réduction des commissions, une indemnisation des frais des membres, la parité hommes/femmes, du personnel en renfort...

Une mesure emblématique

Mais c'est surtout une proposition emblématique qui risque de faire débat : le fait que le CNCPH soit composé à 100 % de personnes en situation de handicap, de surcroît représentantes d'organisations associatives. Un cap non négociable d'autoreprésentation, promu par l'ONU, pour redonner une voix et le pouvoir d'agir aux personnes concernées, qui risque néanmoins d'hérisser le poil des membres historiques (syndicats, associations gestionnaires, personnes qualifiées...). Après « rien pour nous sans nous », le credo durcit le ton. Jérémie Boroy, lui-même en situation de handicap, martèle que cette « instance s'appelle Conseil national consultatif des personnes handicapées » et que « les autres n'y ont pas leur place ». Il va devoir défendre ses convictions devant un auditoire probablement mitigé, voire hostile. Ses opposants font valoir que des personnes sont également engagées à titre personnel et pas forcément à titre associatif, avec un parcours inspirant qui peut apporter au collectif, par exemple un chef d'entreprise en situation de handicap…

Les syndicats ripostent

Les organisations syndicales présentes au sein du CNCPH ont été les premières à dégainer le 15 février dans une lettre adressée aux membres et aux commissions. Elles considèrent que « la diversité qui la compose est une richesse pour l'instance car tous les membres sont désignés en toute indépendance par les différentes organisations selon l'expertise qu'elles portent sur les sujets ». Pour elles, il n'est « pas question de réserver les instances qui traitent du handicap à des personnes en situation de handicap », déplorant une « discrimination positive » qui « contrevient aux droits fondamentaux fixés par la Constitution ». D'autres redoutent que ce type de préconisations ne soit influencé par un « wokisme rampant », militantisme qui renvoie les citoyens à une identité fondée sur leur origine, leur sexualité, leur genre, leur handicap, au risque de « fragmenter l'unité républicaine ». C'est donc un débat sociétal de fond qui promet d'alimenter les discussions à venir... Handicap.fr a interrogé Jérémie Boroy, voici ses arguments.

Handicap.fr : Ce qui risque de faire débat, c'est donc cette proposition de ne nommer « que » des personnes en situation de handicap au sein du CNCPH ?
Jérémie Boroy : En effet. On se calque précisément sur ce que dit la Convention relative aux droits des personnes handicapées de l'ONU, on n'invente rien. Pour être très clair, nous n'aurions plus d'organisations gestionnaires mais seulement des organisations « associatives ».

H.fr : Qui pourrait donc postuler ? 
JB : Des membres d'associations désignés, et pas seulement les présidents, à condition qu'ils soient en situation de handicap.

H.fr : Et que fait-on des associations parentales ? 
JB : Parce que je suis un peu « souple », je dis 100 %, dont 5 % d'associations de parents. Honnêtement, je ne me fais pas beaucoup d'illusions, et ce chiffre va certainement bouger, mais il faut arrêter de considérer que les associations de parents et de familles sont la voix légitime des personnes handicapées. C'est faux, et on ne peut plus accepter ça. Les personnes handicapées ont des choses à raconter et à apporter. Il y aura toujours des associations pour dire que leur public est différent... Mais non, non, non et non. C'est peut-être compliqué mais pas impossible. Et cela vaut aussi pour les enfants, comme nous le réclame l'ONU.

H.fr : Les enfants aussi, comment ?
JB : Eh bien, en organisant les choses. Il y a d'autres instances, en France, où on les fait participer. C'est donc à notre portée.

H.fr : Et qu'en serait-il des syndicats ? 
JB : Pour les syndicats, c'est simple, il faut qu'ils soient représentés par des personnes handicapées. Mais ils vont certainement hurler à l'ingérence. 

H.fr : Vous fixez un cap un peu extrême pour pas mal de membres historiques. Mais il ne s'agit que de « propositions » qui vont maintenant être débattues... 

JB : Oui, je ne dis pas que je suis le seul à avoir raison mais ce sont deux visions qui se confrontent. Où place-t-on le curseur ? Maintenant, place au débat. J'ai bien conscience qu'on va avoir du mal à trouver un consensus car, objectivement, je dis aux membres du CNCPH : « Votez pour des propositions qui consistent à vous exclure »... Moi, je fais mon job, je ne suis pas là pour faire plaisir aux gens et leur assurer une place au chaud ou occuper leur retraite. Chaque fois que j'évoque cette question, je suis face à un silence. Mais maintenant, on y va, on écrit les choses noir sur blanc. 

H.fr : Au final, qui va trancher ? 
JB : Cette consultation sera soumise au vote, proposition par proposition. Ce décompte, et tous les points de vue, seront restitués au gouvernement, à qui il appartient d'encadrer et d'organiser la participation et la représentation des personnes handicapées. C'est lui qui fera les choix.

H.fr : Le gouvernement est-il déjà informé sur ces évolutions préconisées ?
JB : Non, il n'y a pas eu de concertation avec la ministre déléguée aux Personnes handicapées, Geneviève Darrieussecq, pour le moment. Mais je rappelle quand même que c'est le gouvernement -à l'époque via Sophie Cluzel- qui a demandé au CNCPH de se saisir de la représentation et de la participation des personnes handicapées. Cette commande faisait suite à l'audition de la France par le Comité des droits des personnes handicapées de l'ONU en 2021, qui avait pointé cette problématique comme un élément faible.


H.fr : Les personnes handicapées qui siègent au sein du CNCPH partagent-elle votre point de vue ? 
JB : Certaines, oui, d'autres non, cela dépend. Sans trop caricaturer, certaines dénoncent le fait qu'il leur est difficile de suivre les débats, qu'elles ne peuvent pas s'exprimer et que la parole est toujours accaparée par les mêmes qui viennent parler gestion et argent. Il y a aujourd'hui, en France, les moyens de mettre en place cette nouvelle organisation. Ça bouscule, oui, je suis d'accord mais, à un moment donné, il faut qu'on arrive à se faire entendre. Et la parole des personnes handicapées, en particulier des jeunes et des femmes, des usagers d'établissements médico-sociaux, des personnes LGBT ou vivant en milieu rural, via les collectifs qui les désignent, n'a pas à être confisquée par d'autres qui sont persuadés qu'on a besoin d'elles.

H.fr : L'argument des syndicats dans leur lettre ouverte, c'est qu'il n'est pas indispensable de confier les sujet des femmes uniquement aux femmes, celui des personnes âgées uniquement aux personnes âgées, et que ce sont des questions sociétales collectives... Qu'en pensez-vous ? 
JB : Mais quand on va dans les associations de femmes, on ne leur dit pas « Poussez-vous, on met des hommes... ». C'est de la mauvaise foi. Je ne dis pas que la question du handicap appartient aux seules personnes handicapées mais « notre » instance, elle, doit leur rester exclusivement dédiée. Elle s'appelle Conseil national consultatif « des personnes handicapées », qu'est-ce qu'il y a de compliqué à comprendre ?

H.fr : La petite révolution que vous êtes en train de mener n'a jamais été tentée par le passé ? 
JB : Non, jusque-là, le débat était surtout entre associations représentatives et gestionnaires plus qu'entre personnes handicapées ou pas. Et puis, pour ce mandat, il y a eu, et de façon très maladroite, l'idée de faire rentrer des « personnes qualifiées » qui devaient apporter au débat un éclairage intéressant. Mais, au final, il faut que ce soit le collectif associatif qui représente la voix privilégiée et pas des « individus ». 

H.fr : Mais comment permettre aux petites associations de participer pleinement, il faut aussi des moyens et du temps qu'elles n'ont pas forcément ? 
JB : En effet, et c'est pour cette raison que nous proposons la création d'un fonds pour soutenir celles qui s'engageraient au sein de notre conseil. 

H.fr : Vous proposez également la diminution de la moitié des membres, en quoi est-ce important ?
JB : Parce qu'on a vu qu'animer des assemblées pléthoriques ne facilite pas la participation, d'autant que ce sont en général les mêmes qui prennent la parole et la gardent et ce sont rarement des personnes handicapées. 160 membres, ce n'est pas justifié et cela met aussi en péril le fait d'avoir le quorum pour chaque vote. 80 (plus 80 suppléants) était la fourchette envisagée il y a trois ans au début du mandat mais elle a explosé, notamment face à un grand nombre de candidatures et l'arrivée des personnes qualifiées. Il n'y a donc rien d'extraordinaire à revenir à un nombre plus restreint, comme lors de la précédente mandature qui comptait une petite centaine de membres. 

H.fr : Comment, avec une telle organisation, faire valoir le point de vue du plus grand nombre ? 
JB : Parmi nos propositions, il y a la mise en place d'une plateforme de consultation permanente, abordant différents sujets, ouverte au grand public et aux acteurs qui contribuent à l'autonomie des personnes handicapées, notamment les professionnels, les CDCA (Conseil départementaux de la citoyenneté et de l'autonomie), des experts qui pourraient être désignés par les commissions. Il ne s'agit pas de fermer les portes mais il y a un endroit où on est légitime pour porter la voix des personnes handicapées et voter les avis, et cet autre, plus largement ouvert, puisque les sujets que nous portons concernent toute la société. 

H.fr : Autre proposition, celle de permettre aux membres d'élire leur président qui, jusqu'à maintenant, est nommé par le gouvernement...
JB : A un moment donné, il faut lui donner une autre forme de légitimité et d'indépendance, qui sécurise le processus d'échange et de co-construction avec les pouvoirs publics. La question, c'est aussi de savoir si on reste dans une instance consultative sous l'égide d'un gouvernement ou si on bascule dans une autorité administrative indépendante, un peu comme celles des Droits de l'Homme. C'est un débat légitime sur lequel on ne pourra pas faire l'impasse. 

H.fr : Enfin, sur la forme, le collectif de syndicats vous reproche un calendrier précipité puisque ces questions doivent être débattues le 17 février lors de la plénière, soit quelques jours seulement après la remise de vos propositions...
JB : Ça fait quand même longtemps qu'on en parle. Mais leur demande est légitime. Donc la plénière du 17 février aura lieu, le débat aura lieu et, s'il n'est pas terminé, on prendra le temps qu'il faudra, dans la limite de la plénière suivante en mars car les résultats de cette consultation doivent être livrés avant la CNH prévue au printemps 2023. Une question centrale, c'est celle des ressources du CNCPH. Quels moyens on donne pour accompagner cette représentation ? On a tout chiffré ! Alors pas question de rater cette opportunité placée sous l'égide du Président de la République.

 

 

 

 


 

 

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