Par Dessy Sagita
Quand Eman Sulaeman, né sans une partie de ses deux jambes, suppliait ses parents de le laisser jouer au football, ils craignaient qu'il ne subisse des moqueries. Vingt ans plus tard, les prouesses du gardien indonésien sont une source d'inspiration. Lors d'un récent match de football en salle dans la petite ville d'Indramayu, à 220 km à l'est de la capitale Jakarta, Eman a été acclamé par les spectateurs à chaque fois qu'il défendait sa cage avec ardeur, malgré son handicap -une de ses jambes s'arrête en dessous du genou, l'autre à la moitié du pied.
Des réflexes de chat
Il avait même fait sensation au niveau international lors de la Coupe du monde de football des sans-abri en 2016 à Glasgow (Ecosse) en réalisant de superbes arrêts, des exploits que certains avaient assimilés à des "réflexes de chat". Pourtant, Eman se souvient combien il a été difficile de convaincre ses parents de le laisser jouer au football. "Je pleurais pendant des jours, les suppliant de m'acheter un ballon", raconte-t-il à l'AFP. Mais "ils ont cédé et m'ont trouvé un ballon en plastique bon marché". Agé aujourd'hui de 30 ans, il est devenu une vedette locale, une source d'inspiration pour la jeunesse. Son cas met en exergue la quasi indifférence des autorités indonésiennes à l'égard des personnes handicapées.
Source d'inspiration
À l'issue du match à Indramayu, de jeunes spectateurs l'attendaient à la sortie pour prendre un selfie avec leur héros. "Il suscite beaucoup d'inspiration", confie l'un d'eux, Muhammad Faisal Bahri. "Bien qu'il soit physiquement très différent de nous, il a l'esprit fort. Il est très motivant pour moi", ajoute Muhamad. Cela n'a pas été facile pour Eman, ardent supporter de l'ex-gardien de but de Manchester United Edwin Van Der Sar et de la star portugaise du Real Madrid Cristiano Ronaldo. "J'ai passé beaucoup de temps à apprendre à marcher en équilibre avant d'être capable de taper dans un ballon", se souvient le footballeur qui vient d'obtenir un diplôme en ingénierie. Sa persévérance a payé. Aujourd'hui, des amis lui demandent de signer dans leur club.
Pas de prothèse
"Pour moi, le football c'est simplement comme ma femme. Parfois, mon épouse est même jalouse, parce que j'aime trop ça", sourit-il. Au début, tous n'étaient pas convaincus par son talent. "À mon premier tournoi, l'entraîneur de l'équipe adverse doutait de mes capacités et m'a demandé si je savais vraiment jouer", raconte Eman. Malgré les difficultés liées à son handicap, il n'a jamais voulu entendre parler de prothèse. "Je n'aime pas du tout porter de chaussures. La seule fois où j'en ai porté, c'était pour un match en Ecosse", dit-il en expliquant que c'était pour apaiser les craintes des organisateurs eu égard à la sécurité, lors de sa participation au Mondial des sans-abri. Au cours de ce tournoi annuel rassemblant des sans domicile fixe (SDF), des toxicomanes, des demandeurs d'asile et des handicapés, les prouesses d'Eman lui avaient valu le titre de meilleur gardien de la compétition. "C'était incroyable. Etre désigné meilleur gardien pour mon tout premier tournoi à l'étranger", dit-il. "Le public et même le comité d'organisation dans son ensemble m'ont applaudi. J'étais très touché", ajoute-t-il.
Capacités extraordinaires
"Le football englobe vraiment toutes les composantes de notre société. Les personnes avec des handicaps comme moi et les gens pauvres peuvent s'unifier sans être regardés de haut ou stigmatisés", dit-il. Son talent a attiré l'attention de l'agence des sports de Java Ouest, suscitant l'espoir que le gouvernement développera des infrastructures dédiées aux handicapées, pour le moment quasi inexistantes. "Nous avons récemment appris que nos athlètes handicapés avaient des capacités extraordinaires et cela nous a ouvert les yeux sur le fait que s'il y avait une égalité des chances, ils pourraient tout réussir", a déclaré un porte-parole de l'agence, Dani Ramdan. Eman, qui gère un magasin de réparation d'objets électroniques, est déterminé à faire partager sa passion pour le sport et rêve de participer un jour à des compétitions majeures comme les Jeux paralympiques.
© Capture d'écran Youtube/AFP