* Directrice générale déléguée à la stratégie et aux programmes de France Télévisions
Handicap.fr : Il y a 4 ans, à Londres, malgré un engouement populaire inédit, les sportifs paralympiques avaient été largement boudés par les medias français. Une indifférence manifeste qui avait provoqué la bronca de nombreux téléspectateurs. Certaines chaînes semblent en avoir tiré les leçons, et notamment France Télévisions. Pour quelles raisons ?
Caroline Got : Pour Londres, je n'étais pas encore en poste (ndlr : la nouvelle équipe de direction est arrivée le 24 août 2015) et il y a eu, en effet, un "oubli malheureux", qui a d'ailleurs été rectifié dès 2014 lors des Jeux paralympiques d'hiver de Sochi avec une large couverture sur France 4. A mon arrivée, en réfléchissant avec l'équipe des sports dès octobre 2015, nous avons décidé de donner une place importante aux sports paralympiques, même s'il est plus difficile de rassembler les téléspectateurs en dehors des périodes de vacances.
H.fr : Vous parlez d'oubli malheureux mais ce n'était pourtant pas le cas sur les chaînes anglaises...
CG : Oui, il est vrai que l'incroyable élan anglais a permis de revenir sur de nombreuses idées reçues ; il revendique désormais fortement le volet paralympique, notamment à travers la récente campagne "Super humans" menée par Channel 4 (article en lien ci-dessous) ; il faut bien avouer que nous n'avions pas, en France, cette "tradition" pour relayer ce type d'évènement. Or c'est aussi notre mission de service public que de donner toute sa place au sport paralympique. Et lorsqu'on lui en offre l'occasion, le public est au rendez-vous ; les audiences à Sochi ont été très satisfaisantes pour un créneau du matin.
H.fr : Il a quand même fallu attendre les 15èmes paralympiades d'été...
CG : Oui mais c'est aussi une question d'organisation globale du mouvement paralympique ; le CIP (Comité international paralympique) est beaucoup plus récent que le CIO (Comité international olympique). Idem pour les fédérations sportives dédiées qui, depuis 2012, ont acquis le même niveau de professionnalisme. Et puis, du côté de France Télévisions, nos équipes ont dû également travailler dans ce sens afin de mieux gérer des retransmissions beaucoup plus complexes que sur les épreuves "valides" car le grand public a moins de repères sur les catégories de handicap.
H.fr : Vous avez d'ailleurs anticipé ces Jeux en diffusant, durant tout l'été, des vignettes sur des athlètes handisport. Mais y avait-il également ceux du sport adapté (avec une déficience intellectuelle) qui, plus que les autres, peinent à se faire reconnaître ?
CG : Non, en effet, pas sur ce programme court. Cependant, à Rio, le sport adapté sera traité avec les trois disciplines dans lesquelles concourent ses sportifs et que nos équipes des sports souhaitent suivre en particulier : athlétisme, natation et tennis de table.
H.fr : Quelle sera la programmation sur France Télévisions (article complet en lien ci-dessous) ?
CG : Globalement, plus de 100 heures de direct à compter du 7 septembre 2016, tous les jours à partir de 19h sur France 4 en raison du décalage horaire et à partir de 22h30/23h sur France 2. Il était important que cet évènement soit relayé sur la chaîne majeure du groupe. C'est vraiment une position "politique". Avec le soutien des équipes des deux chaînes, nous allons couvrir toutes les disciplines et tous les sportifs. Sans compter des focus récurrents dans les JT, avec un soutien très fort de la direction de l'information. Une large couverture en live est également proposée sur notre site francetvsport (en lien ci-dessous). Enfin, notre toute nouvelle chaîne, France Info, va présenter les principaux athlètes et nos chances de médailles.
H.fr : Les annonceurs manifestent-ils aujourd'hui plus d'intérêt pour le handisport ?
CG : La question ne se pose pas vraiment car nous retransmettons principalement après 20h (ndlr : pas de publicité après 20h sur les chaînes de France Télévisions). Par contre, nous sommes allés chercher des sponsors et, par exemple, le programme Jeux paralympiques sera soutenu par Malakoff Médéric. Il faut que le sujet colle à leur image et, pour cela, il faut que le public connaisse davantage les sportifs paralympiques et s'émeuvent de leurs performances. C'est dans ces conditions que l'on pourra envisager des campagnes qui feront écho aux valeurs des annonceurs.
H.fr : Et c'est là que la responsabilité des medias intervient...
CG : Oui, en effet, c'est notre rôle de créer de la notoriété autour de ces sportifs et il est nécessaire, pour cela, de les exposer fortement. C'est ce que nous faisons aujourd'hui, avec des engagements très différents de ce qu'on a connu auparavant.
H.fr : Lors des Mondiaux d'athlétisme handisport en 2013 à Lyon, France TV avait proposé une couverture médiatique mais les téléspectateurs n'étaient visiblement pas au rendez-vous… Responsabilité partagée ?
CG : Oui mais cela vaut pour la plupart des disciplines sportives. On en compte une trentaine qui sont relayées sur nos antennes mais combien font réellement de l'audience ? Il y a le foot, le rugby, le vélo et le tennis. Et après, on descend vraiment d'une catégorie en termes d'intérêt. C'est frustrant aussi pour nos équipes. Mais une paralympiade, ça reste un évènement majeur ; nous profitons donc de cette occasion pour faire le pari d'amener le public à s'intéresser à un univers encore méconnu. C'est ça notre boulot : raconter des histoires et en faire un évènement médiatique (voir clip de promotion des Jeux paralympiques par France Télévisions ci-dessous).
H.fr : Le sport paralympique n'est-il pas confronté, finalement, aux mêmes problèmes que le sport féminin qui peine, lui aussi, à accéder à la notoriété ?
CG : C'est en effet le même type de parcours. La médiatisation du sport féminin est très récente ; on a vraiment commencé à travailler sur ce sujet en 2010 et, depuis, il récolte des audiences vraiment honorables, par exemple 2 millions de téléspectateurs lors de la dernière coupe de monde de rugby féminin. L'engouement féminin est en train de devenir un véritable phénomène sociétal mais, pour le moment, le sport est encore totalement dominé par la pratique masculine et, encore une fois, dans des disciplines très ciblées. C'est aussi vrai pour les juniors ; ils font de performances spectaculaires qui ne sont pas forcément relayées. Dans ce contexte, il faut suffisamment de chaînes et de canaux pour faire "grandir" ces pratiques ; on commence par des diffusions sur des chaînes plus "modestes" et on gagne peu à peu en notoriété. La structure de France Télévisions permet cette montée en puissance...
H.fr : Cette partie-là, vous pensez donc la remporter ?
CG : Oui, d'autant que le fait qu'un grand groupe comme le nôtre aille sur ce "terrain" ne peut qu'encourager les autres médias à nous suivre...