Handicap mental : la grève, une expérience anxiogène

La grande grève de 2019-2020 restera dans les annales. 2 mois et demi de galères et de stress pour les usagers, a fortiori en cas de handicap mental. Déboussolés, épuisés, tétanisés... Leurs proches reviennent sur cette expérience anxiogène.

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Depuis quelques jours, Paul, 29 ans, a retrouvé le sourire. La grève des transports n'est plus qu'un mauvais souvenir... Mais jusqu'à quand ? Si la plupart des usagers, souvent de guerre lasse, se sont adaptés, pour certains publics, ces circonstances exceptionnelles se sont avérées nettement plus compliquées. On pense, évidement, aux personnes à mobilité réduite, déjà pénalisées en temps normal par un manque chronique d'accessibilité, mais aussi à celles avec un handicap mental ou un trouble cognitif, pour qui tout changement d'habitude peut devenir un obstacle difficile à surmonter. Des retards aux suppressions en passant par les changements d'itinéraires, durant ces deux mois et demi de mobilisation sociale contre le projet de réforme des retraites, les familles concernées ont dû faire face à une tempête d'émotions, en plein désert... de locomotion.

Des solutions coûteuses

« Martin a déjà 45 minutes de transport en temps normal pour se rendre au travail ; durant les grèves c'était juste impossible », déplore son père, Vincent Lochmann. Principal frein pour ce jeune homme de 30 ans, dys sévère : la difficulté à s'adapter. Pour Martin, tout comme pour Paul et son frère Lucas qui présentent des troubles neuro-développementaux, « impossible » de faire du stop, du vélo, du covoiturage ni même de demander de l'aide, « surtout lorsque l'exaspération ambiante raréfie la bienveillance et peut conduire à des attitudes agressives », souligne Hélène, la maman des deux frères. « Martin ne pouvait pas non plus s'offrir le taxi matin et soir, en gagnant un smic à temps partiel », reprend Vincent Lochmann. Seule solution : lui payer un hôtel à proximité de son lieu de travail. Une option coûteuse que plusieurs parents ont été contraints d'assumer. « Mais, en même temps, ce moment de grande solitude, au départ, a finalement permis de vérifier sa capacité d'autonomie », positive ce papa.

Réorganisation familiale

D'autres, comme Hélène et son mari, ont dû repenser « toute l'organisation familiale de A à Z ». Leur fils, Lucas, 27 ans, vit dans un foyer à Paris, « assez éloigné » du centre d'accueil de jour du Castel de Gennevilliers (92), dans lequel il se rend presque quotidiennement. Chaque matin, il fait le même trajet, sa routine le tranquillise. Le changement, l'imprévu ? Ses pires cauchemars, sans parler des embouteillages... « Un jour, il a tout de même réussi à prendre un bus de remplacement mais a finalement demandé au chauffeur de le laisser descendre car le trafic était saturé. » Pas d'autre choix que de finir le trajet à pied. Une expérience « très anxiogène », selon sa mère. Pour éviter qu'elle ne se reproduise et pouvoir rester auprès de lui, « nous avons dû, avec son père, alterner jours de congés et de télétravail ».

Un amas de difficultés

Quant à son frère, Paul, il était « malade de stress ». D'ordinaire souriant, il est devenu morose, distant et s'est replié sur lui-même... « Il avait déjà un petit malaise mais ces perturbations l'ont intensifié, confie sa mère. Il restait parfois des journées entières, tétanisé. Je me suis même demander si je ne devais pas aller consulter un psychiatre en urgence. » Les deux frères s'étaient pourtant préparés psychologiquement, déjà secoués par une précédente mobilisation, quelques années plus tôt. « Ils avaient noté sur le calendrier 'Grève' à la date du 5 décembre, deux mois plus tôt, pour être prêts à l'affronter », se souvient leur mère, mais, à mesure que l'échéance approchait, leur anxiété s'est amplifiée. La perte de repères engendre une peur qui peut immobiliser certaines personnes et renforcer leur stress. Sans parler des troubles de la compréhension qui se surajoutent aux autres difficultés... « Un métro sur quatre, ça veut dire qu'il y en a un tous les quarts d'heure ? », demande ainsi Martin à son père. « C'est drôle », concède Vincent Lochmann, mais surtout révélateur d'une lacune en termes d'accessibilité de l'information.

Un ESAT s'adapte

Face à ce constat, le Centre d'accueil de jour et ESAT du Castel a conseillé à certains travailleurs et autres membres de rester chez eux. En vain ! « La plupart étaient prêts à tout, quitte à faire 2h30 de transport ou à marcher plusieurs kilomètres dans le froid pour être présents », explique explique Christelle Couzinou, cheffe de service au sein de la structure. Une démarche qui avait fatalement des conséquences sur leur rythme de travail... Pour changer la donne, tout l'établissement s'est mobilisé. « Un véhicule a été spécialement affrété pour assurer les transports, poursuit-elle. Quant aux travailleurs qui ne pouvaient pas venir, notamment par peur d'être bousculés dans les seuls trains en circulation, ils n'ont pas été pénalisés. »

Pour éviter ce type de débordements, des agents de la surveillance générale de la SNCF ont pris l'initiative de réserver des wagons sur une ligne de RER parisienne aux personnes « vulnérables » : femmes seules, personnes âgées, handicapées ou accompagnants des enfants. Suite à l'interprétation erronée de nombreux médias, la SNCF a démenti la création d'un dispositif officiel de « compartimentation ». « En revanche, nos personnels sur les quais et dans les trains ont pris les décisions opérationnelles les plus adaptées afin de protéger le public », avait-elle précisé dans un communiqué. Une initiative à concrétiser ? L'idée est lancée...

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