« Au cinéma, on a droit à quelques séances sous-titrées, aux heures creuses, en général le mardi à 17 heures, pour déranger le moins possible. Mais il ne faut pas rater le coche parce que, la semaine suivante, c'est terminé ! Comment faire lorsqu'on travaille ? », déplore Jérémie Boroy, membre du conseil national du numérique, lui-même malentendant. La culture est-elle réellement accessible aux personnes handicapées ? Jérémie a trouvé une combine, acheter des DVD « parce qu'eux sont sous-titrés ! », mais à quel prix ? Dans ce contexte, créer des perspectives pour « vivre ensemble la culture » était le thème d'un colloque organisé le 23 septembre 2019 au Forum des images, à Paris, à l'occasion de la journée internationale de la langue des signes. Leitmotiv : « La culture, terre d'expérimentation, vecteur d'émancipation et d'épanouissement, véritable miroir des sociétés se doit d'être innovante, solidaire, exemplaire ».
Mobiliser la profession
A l'initiative ? Le groupe de protection sociale Audiens, spécialisé dans l'accompagnement des professionnels de la culture et de la création. Avec un taux d'emploi de 8 % de travailleurs en situation de handicap (contre 6 % pour le minimum légal), il entend montrer la voie en réunissant la profession autour d'une ambition commune : sensibiliser et encourager les pratiques en faveur des publics fragilisés, et notamment les personnes handicapées. « Le mélange des expériences, des cultures et des identités est une source de richesse inépuisable », explique Odile Tessier, sa directrice générale. Son fer de lance : la prévention de toutes les discriminations, celles liées au handicap mais aussi au genre, à l'âge et à l'orientation sexuelle. Un combat de longue haleine pour venir à bout des situations inégalitaires encore pregnantes, a fortiori dans le domaine de la culture.
La télévision se met au sous-titrage
« Heureusement, aujourd'hui, la totalité des programmes des grandes chaînes télévisées est sous-titrée », se réjouit Jérémie. « C'est une obligation », intervient Catherine Puiseux-Kakpo, directrice RSE (Responsabilité sociale des entreprises) du groupe TF1. Comme bien souvent, cet impératif ne sert pas uniquement les intérêts des personnes handicapées. « Quand vous regardez une vidéo dans le métro, vous activez cette option, non ? », renchérit Jérémie Boroy, également créateur du Guide de l'accessibilité évènementielle. Le hic, c'est que, pour l'heure, cette obligation de sous-titrer « pèse seulement sur les antennes ». Or, la grande majorité des contenus s'est « déportée » sur le digital et les plateformes numériques. « Nous étions mauvais sur ce point il y a deux ou trois ans, à tel point que même le questionnaire qui permettait d'accéder aux différents contenus n'était pas accessible aux personnes malvoyantes », reconnaît Catherine Puiseux-Kakpo.
Mode de consommation multi-support
« Les modes de consommation ont évolué, l'offre télévisuelle est pléthorique et multi-support. Grâce aux progrès, nous devrions, toutes et tous, avoir accès à l'ensemble des contenus proposés, du point de vue technologique... Mais si l'on regarde via le prisme économique, cela devient compliqué de répondre à toutes les attentes », estime Bernard Chaussegros, président de l'Observatoire de la transformation audiovisuelle et de Smart consulting. Face à ce problème, le groupe TF1 a trouvé une solution ! Son nom ? Facil'iti, une application qui adapte la visibilité des contenus en fonction des besoins de chaque lecteur : caractères agrandis, écran obscurci pour les personnes photosensibles, patchs de couleurs pour différencier les lettres pour celles étant dyslexiques, espacements élargis pour celles ayant la maladie de Parkinson... « L'utilisateur entre son profil et ses attentes, et l'ensemble du site est paramétré, une fois pour toutes », résume Yves Cornu, son directeur général.
Festival d'Avignon, ne pas catégoriser
S'adapter, voilà la solution ! A contrario, « catégoriser des groupes de public, c'est la plus mauvaise réponse qu'on puisse apporter », affirme Olivier Py, directeur du festival d'Avignon, qui refuse de faire des « spectacles pour les personnes handicapées d'un côté » et pour les valides de l'autre. En outre, l'accessibilité de la culture passe aussi par celle du cadre bâti. Mais pas évident de mettre un palais du 14e siècle aux normes... Virginie de Crozé, directrice de la communication du festival, a donc suivi une personne en fauteuil roulant pour mettre en exergue les obstacles qui barraient sa route et tenter de changer la donne. « Ce n'est pas deux mois à l'avance qu'on décide de faire une politique d'accessibilité mais plutôt un, deux ou trois ans en amont ! », explique-t-elle. Sur sa lancée, elle décide de programmer des spectacles qui incluent des personnes handicapées et notamment porteuses de trisomie 21. « Il faut penser les choses autrement, et créer des sensations nouvelles entre le plateau et le public permet de faire passer de grandes idées. »
Plus belle la vie, la série qui nous ressemble
Une ambition partagée par Sébastien Charbit, notamment producteur du programme diffusé sur France 3, Plus belle la vie, qui a œuvré pour l'amélioration de l'accessibilité des plateaux de tournage. En cette rentrée, Samuel Allain-Abitbol est le premier acteur porteur de trisomie 21 à intégrer une série dans la durée (article en lien ci-dessous). Une initiative qui contribue à améliorer la représentativité des personnes en situation de handicap à la télévision mais aussi à favoriser l'emploi et l'autonomie. « Le but de la télé est de partager des différences de point de vue, et ce au-delà du Périphérique. C'est pourquoi nous allons régulièrement en province pour organiser des tables rondes parfois sur des sujets à rebrousse-poil comme la question du genre ou du handicap », poursuit Sébastien Charbit.
Innovations au service du handicap
La soirée a également permis de dresser un inventaire à la Prévert afin de mettre en lumière de nombreuses innovations dans le domaine de la culture. A commencer par la start-up Artify et son écrin digital qui projette une sélection d'œuvres d'art numérisées pour sensibiliser les salariés à la diversité. Mais aussi Imparato, « l'application qui donne la réplique aux comédiens », Ava, l'appli de sous-titrage des conversations en temps réel pour les personnes sourdes et malentendantes, Panthéa, les lunettes de réalité augmentée qui sous-titrent le théâtre et l'opéra, Virtuoz, le plan tactile et interactif qui permet aux personnes déficientes visuelles de se déplacer en toute autonomie, ou encore Quest'handi, le kit qui rend les évènements culturels accessibles à tous. A l'issue du colloque, les participants ont aussi pu tester les casques de réalité virtuelle de la start-up Notoryou, qui propose des visites culturelles immersives. Son credo : « Si tu ne viens pas à la culture, la culture viendra à toi ». Inspiré ? Chaque année, Audiens récompense des porteurs de projets innovants en leur remettant le « prix de l'initiative numérique ». L'appel à candidature pour l'édition 2020 sera lancé au mois d'octobre. Pour qu'il ne soit plus simplement question de vivre ensemble mais de « faire ensemble »...