Par Catherine Fay de Lestrac et Arnaud Bouvier
Visé par des accusations d'agressions sexuelles (classées sans suite) et de tentative de viol (une enquête est ouverte) le maintien de Damien Abad, ministre des Solidarités, de l'autonomie et des personnes handicapées au gouvernement était devenu impossible. Ex-chef des députés LR à l'Assemblée nationale, son entrée dans l'équipe d'Elisabeth Borne avait des allures de prise de guerre pour le président Emmanuel Macron qui cherchait à élargir sa majorité, tout en enfonçant un nouveau coin dans les rangs de la droite. Las, c'est d'un "boulet" dont la macronie a finalement hérité. Et l'ambitieux Damien Abad, 42 ans, tenant d'une droite "populaire et sociale", honni par ses anciens amis, abandonné par ses nouveaux camarades, aura tout perdu ou presque... Il aura juste conservé son poste de député de l'Ain occupé depuis 2012, en glanant un troisième mandat avec 57,86 % des voix au second tour des élections législatives de juin.
Trois plaintes à son actif
Mince consolation pour cet homme à la mobilité entravée, atteint d'arthrogrypose, qui bloque ses articulations, et dont la nomination faisait figure de symbole. "Qu'une personne en situation de handicap puisse arriver à ce niveau-là, c'est un signal important", d'autant qu'il "connaît très bien les sujets, il sait de quoi il parle, techniquement et politiquement", commentait Pascale Ribes, présidente de l'association APF France Handicap. Mais dès le lendemain de sa nomination, Médiapart relayait des accusations à son encontre, datant de 2010 et 2011. Les plaintes furent classées en 2012 puis 2017. La semaine dernière, une plainte était cependant une nouvelle fois déposée avec, à la clef, l'ouverture d'une enquête préliminaire pour tentative de viol (article en lien ci-dessous).
"Extrêmement fragilisé"
"Politiquement, c'est comme si on n'avait pas de ministre", commentait alors acerbe un cadre de la majorité. Il n'a "aucune capacité d'action". Avec des éléments "très documentés" sur son comportement, ce n'était dans "l'intérêt de personne qu'il reste", jugeait-il. Le remaniement a permis de régler le problème. "Quoi qu'il ait fait, il est extrêmement fragilisé. Il est affaibli et risque de ne pas avoir le poids politique suffisant, c'est une situation fortement préjudiciable pour lui mais aussi pour nos sujets", regrettait Pascale Ribes. "Il passait une partie de son temps à organiser sa défense", selon Pascal Champvert, de l'association Ad-Pa qui regroupe des directeurs de maisons de retraite et de services d'aide à domicile pour personnes âgées. "Il n'avait pas toute la disponibilité pour gérer les questions majeures du secteur", confronté notamment à l'"urgence" du manque d'effectifs. Le 1er juillet 2022, alors que des rumeurs de démission se faisaient pressantes, l'entourage du ministre assurait qu'il était "pleinement à sa tâche" avec une réunion ce jour-là avec les directeurs d'Agences régionales de santé (ARS).
Il réfute toute accusation
Peu après la formation du premier gouvernement Borne -et les accusations contre Damien Abad-, la Première ministre avait déclaré ne pas avoir été "au courant" et prévenu que si la justice était saisie, elle en tirerait "toutes les conséquences", rejetant toute "impunité". Fustigeant un "calendrier soigneusement choisi" et la "partialité" du média d'investigation, M. Abad a toujours réfuté "catégoriquement" les accusations. L'affaire a entaché les débuts du gouvernement dirigé pour la deuxième fois de l'histoire par une femme. La Nupes laissait présager du "chahut" pour couvrir la voix du ministre s'il s'exprimait à l'Assemblée nationale. Les appels à sa démission se multipliant dans l'opposition et chez les féministes, son maintien au gouvernement devenait le caillou dans la chaussure. L'enquête ouverte par le parquet le 29 juin a scellé définitivement le sort de M. Abad. Il a été remplacé par le patron de la Croix Rouge Jean-Christophe Combe (article en lien ci-dessous).
"Devoir d'exemplarité"
"Les conditions de sérénité n'étaient plus présentes, qui permettaient à un ministre qui porte, dans son portefeuille, toutes les politiques de solidarité, d'exercer pleinement ses fonctions", a justifié le nouveau porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, devant la presse à l'issue du Conseil des ministres. "Ca aurait été l'exposition aux foudres du Parlement à chaque rentrée" et "beaucoup d'investissement en temps pour qu'il puisse assurer sa défense", a-t-il ajouté. "Hors du gouvernement, Damien Abad pourra se défendre et la justice pourra faire son travail sereinement", a commenté, de son côté, la Première ministre Elisabeth Borne dans une interview au magazine Elle à paraître le 6 juillet 2022. Le sujet était "compliqué", a-t-elle commenté car "il est essentiel que la parole des femmes se libère", mais également que la "recherche des responsabilités" reste l'apanage de la justice, a-t-elle relevé. Toutefois, "un certain nombre de témoignages méritent d'être pris en compte" et les responsables politiques ont un "devoir d'exemplarité", a ajouté la Première ministre. "Le monde a changé, et heureusement. Y compris dans le champ de ce qui n'est pas pénalement répréhensible, il y a des comportements que l'on n'a pas envie de voir."
"D'ignobles calmonies"
"Je me défendrai sans relâche jusqu'à ce que la justice confirme mon innocence", a affirmé Damien Abad lors de la passation de pouvoir avec le nouveau ministre. "Je tiens à remercier chaleureusement le président de la République pour la confiance dont il me témoigne depuis le début", a déclaré l'ex ministre, précisant avoir "encore échangé longuement hier avec lui". "Il paraissait préférable face aux calomnies ignobles dont je suis la cible, orchestrées dans un calendrier bien choisi, que je puisse me défendre sans entraver l'action du gouvernement", a-t-il dit lors d'une courte allocution, assurant quitter le ministère "avec beaucoup de regrets". "Je me battrai contre ce mouvement funeste qui relègue la présomption d'innocence au rang de vieillerie sans importance et qui fait de la calomnie une redoutable arme politique dans les mains d'esprits malveillants", a-t-il assuré. "Chacun devrait mesurer la violence inouïe pour un être humain, une famille, des proches, de telles pratiques savamment orchestrées et trop souvent sans discernement médiatique", a encore dit l'ex-ministre. "Comme le dit Montesquieu : 'Une injustice faite à un seul est une menace faite à tous'", a-t-il conclu.