Les personnes sous tutelle, notamment handicapées mentales, peuvent voter depuis une modification législative de 2019 (article en lien ci-dessous). Mais cette réforme, jugée « essentielle » par les associations, n'a pas levé tous les obstacles pour rendre ce droit pleinement accessible. Lahcen Er Rajaoui se rappelle avec émotion du jour où il a voté pour la première fois, lors des municipales de 2020 chez lui dans le Valenciennois (Nord). Il avait 50 ans. Ce jour-là, « j'ai fait mon devoir de citoyen français naturalisé, je me suis senti participer », confie ce menuisier de formation et président de « Nous aussi », l'association française des personnes handicapées intellectuelles. Le droit de vote est ouvert sans condition à toutes les personnes souffrant d'un handicap mental depuis qu'une loi du 23 mars 2019 a abrogé un article du code électoral qui permettait à un juge de priver de leur vote les majeurs sous tutelle. Cela concerne près de 400 000 personnes en France, qui vont donc pouvoir voter à leur première présidentielle. Mettant la France en conformité avec la Convention internationale sur les droits des personnes handicapées, « cette réforme est essentielle mais nous n'en avons pas pris la pleine mesure », insiste Jérémie Boroy, président du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH).
« La loi est méconnue »
« Il y a encore beaucoup de freins. La loi est méconnue », s'inquiète Lahcen Er Rajaoui. « J'ai reçu l'appel d'une personne à qui son tuteur avait montré le papier du juge des tutelles comme quoi elle n'avait pas le droit de voter, alors que ce papier ne vaut plus rien. » Directeur de l'Établissement et service d'aide par le travail (Esat), Les voies du bois/Boucles de la Seine à Colombes (Hauts-de-Seine), Olivier Legay cite le cas d'un de ses travailleurs « qui s'est vu refuser l'inscription par sa mairie. On a dû montrer une copie du texte de loi ! » Pour Matthieu Annereau, président de l'Association pour la prise en compte du handicap dans les politiques publiques (APHPP), « il faudrait mettre le paquet sur la sensibilisation et la formation » à toutes les étapes, de l'information à l'inscription, jusqu'au jour du vote. « Il y a beaucoup de craintes » chez les nouveaux électeurs, remarque Olivier Legay. « Ils disent : je n'ai jamais voté, je ne sais pas comment faire ». A Colombes, en partenariat avec la mairie, l'Esat a donc organisé des ateliers de sensibilisation au vote. Dans cette commune, le vote est électronique. Une simulation est prévue dans les jours qui viennent. Jeudi matin, c'est dans une salle mise à disposition par la mairie de Saint-Maur-des-Fossés (Val-de-Marne) qu'a eu lieu pour une soixantaine de personnes handicapées « un entraînement au vote dans les conditions du réel avec urne, isoloir, assesseurs », relate Maude Rouault-Vogl, directrice d'un foyer d'hébergement, qui se fait « un devoir d'impliquer nos résidents dans la participation citoyenne ».
Les professions de foi en FALC
Installée à Laval, l'association Lilavie édite le journal d'actualité ViteLu, écrit avec des mots simples, des phrases courtes, en lien avec des supports internet, vidéos et en langue des signes. Il est diffusé dans les Esat, les Ehpad, les foyers d'insertion ou encore les prisons. Deux numéros spéciaux consacrés aux programmes des candidats à l'Élysée sont parus les 24 et 31 mars. « Les professionnels sont très demandeurs. Nos journaux sont des supports à la discussion pour donner le sentiment d'être acteur de ce qui se passe dans la société », explique Anne Jeanneau, directrice de la publication. Le CNCPH a mis en place un « observatoire de l'accessibilité » de la campagne électorale (article en lien ci-dessous) pour les personnes handicapées. « Cette année, pour la première fois, une version Falc (facile à lire et à comprendre) des professions de foi est demandée aux candidats (article en lien ci-dessous). Le sous-titrage et la langue des signes sont systématiques dans les clips de la campagne officielle », relève Jérémie Boroy. Toutefois, « rien n'impose que les meetings, les communications sur les réseaux sociaux, les programmes respectent les mêmes normes d'accessibilité ». « On n'a jamais été aussi loin dans l'accès à l'information mais il y a encore du chemin à faire », résume Matthieu Annereau.