Handicap : la France doit fermer tous ses établissements ?

Fermer les établissements accueillant des personnes handicapées, c'est le conseil donné à la France par l'Onu. L'Unapei partage le fond mais déplore la forme et revendique les 70 ans d'expertise du médico-social. Cap inclusif mais avec des garanties

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Handicap.fr : La rapporteure de l'Onu a rendu son rapport fin février 2019 sur la situation de personnes handicapées en France. Un rapport préliminaire datant d'octobre 2017 (articles en lien ci-dessous) avait déjà « fâché » les associations de personnes handicapées. Aujourd'hui, Catalina Devandas-Aguilar revient à la charge. Vous attendiez-vous à cela ?
Luc Gateau, président de l'Unapei : Le ton est à peu près similaire et nous nous y attendions. Cela nous a permis de nous concentrer sur le fond plutôt que la forme, et nous y trouvons des éléments de débat utiles.

H.fr : Pour entrer dans le vif du sujet, lorsqu'elle écrit, noir sur blanc : « Il faut fermer tous les établissements et scolariser tous les enfants qui s'y trouvent en milieu ordinaire », vous réagissez comment ?
LG : Je m'exprime très clairement, il ne sera pas question de fermer des établissements médico-sociaux, notamment pour enfants, sans qu'il y ait l'assurance d'avoir le bon accompagnement pour toutes les personnes, surtout avec des handicaps lourds. Cette transition est déjà une priorité de notre réseau, elle demande un long travail et, surtout, ne doit pas se faire au détriment de la qualité, en apportant de vraies garanties aux personnes handicapées et à leurs familles. Il faut se souvenir que le mouvement parental, né il y a 70 ans, a été précurseur d'un accompagnement des personnes handicapées intellectuelles, en créant des établissements et en faisant un travail que personne ne voulait faire à l'époque. Il ne s'est pas contenté de créer des murs, il a ouvert les portes vers l'extérieur. Cette transition nécessite des moyens budgétaires, la rapporteure en fait mention, des services en nombres suffisants car vivre dans la cité demande un certain nombre de transformations.

H.fr : En octobre, elle avait pourtant indiqué que ce n'était pas une question de moyens et que le modèle inclusif proposé n'était pas forcément plus onéreux…
LG : L'inclusion scolaire n'est peut-être pas plus onéreuse et cela reste à démontrer. En revanche, la transition inclusive demande des moyens financiers pour permettre et accompagner la transformation de l'environnement existant tout en garantissant des services pour tous, pendant et après la période de bascule. Rappelons par ailleurs que des milliers d'enfants en situation de handicap sont encore sans accès à l'éducation dans notre pays.  

H.fr : Elle s'était exprimée davantage sur les adultes, il me semble, notamment sur le principe des unités de vie…
LG : A ce sujet, on parle souvent de personnes avec des besoins plus légers d'accompagnement, en oubliant celles qui ont une déficience profonde. Le jour où on arrivera à trouver des solutions pour faire de l'inclusion dans la cité pour celles qui ont des besoins complexes, là on aura gagné.

H.fr : Mais n'est-ce pas aussi aux associations gestionnaires, comme la vôtre, de proposer des nouvelles pratiques et d'impulser ce mouvement ?
LG : Oui, et nous le faisons déjà, évidemment. De nombreux dispositifs se mettent en place pour les adultes et les enfants. Par exemple, dans le Doubs, six enfants polyhandicapés sont accueillis dans une crèche et trois autres dans une école. Mais nous buttons sans cesse sur les réticences des uns et des autres. Nous souhaitons par exemple ouvrir une classe pour enfants polyhandicapés dans un établissement scolaire ordinaire à Marseille mais nous avons toutes les peines du monde. C'est aussi à l'Education nationale de faire sa part du travail, d'ailleurs elle l'admet elle-même.

H.fr : C'est peut-être là que réside le problème, ce rapport égratigne pas mal le milieu médico-social mais l'environnement ne semble pas vraiment prêt à ce virage inclusif...
LG : La critique ne porte pas uniquement sur notre secteur. La rapporteure parle de transformation de la société française.
    
H.fr : Il n'est quand même pas tendre...
LG : Très clairement, nous sommes loin d'être les seuls en cause. Il y a une responsabilité importante de l'Etat. Aujourd'hui, le travail des associations sur l'autodétermination des personnes pour leur permettre de faire leurs choix de vie est largement investi. A l'Unapei, le soutien à Nous aussi dès 2002 (ndlr : association de personnes avec une déficience intellectuelle auto-représentées) est la preuve que nous voulons permettre leur pleine expression et émancipation.

H.fr : Lorsque madame Devandas dit qu'il faut transférer les budgets et responsabilités du ministère de la Santé vers l'Education nationale, vous en pensez quoi ?
LG : Elle dit aussi qu'il faut instaurer progressivement un système scolaire inclusif et de qualité et que les services spécialisés doivent pouvoir intervenir dans l'école. L'important à ce stade n'est pas de savoir qui sera en charge de gérer les budgets mais de savoir comment les différents acteurs vont travailler ensemble en utilisant les ressources et l'expertise du médico-social. Quand on voit ce que le gouvernement propose aujourd'hui avec les PIAL (Pôles inclusifs d'accompagnement localisés), on ne peut que mesurer le chemin qui reste à parcourir.

H.fr : Son discours peut paraître radical mais n'est-ce pas une manière de taper du poing sur la table et de donner un cap en marquant les consciences, quitte à les bousculer un peu ?
LG : Oui, certainement. Mais attention car on parle beaucoup de virage inclusif, avec cette tendance à dire qu'il faut arrêter ce qui s'est fait avant pour créer quelque chose de nouveau. Arrêtons de jeter le bébé avec l'eau du bain. Des choses magnifiques ont été mises en place depuis des années.
 
H.fr : Vous partagez donc le fond mais jugez la forme un peu trop violente ?
LG : Oui, la forme est violente mais le rapport reconnaît clairement que le cap à tenir implique un changement sociétal et des moyens. Il ne suffit pas d'un coup de baguette magique.
 
H.fr : Que pensent les personnes que vous accompagnez de ce genre de discours ?
LG : Les personnes handicapées intellectuelles veulent vivre comme les autres mais elles veulent aussi vivre dans une société accessible avec le soutien dont elles ont besoin. Du côté des parents, certains s'interrogent : « Comment, demain, mon enfant pourra-t-il vivre hors-les-murs ? Est-ce que tous les éléments seront bien réunis ? » Il nous faut intégrer tout cela dans une intelligence collective, et avancer ensemble, lentement mais sûrement.

H.fr : L'Onu affirme par ailleurs qu'au sein du CNCPH (Conseil national consultatif des personnes handicapées) il y a trop de représentants du médico-social et pas assez d'associations de personnes handicapées auto-représentées. C'est une réalité ?
LG :  Les associations de personnes handicapées auto-représentées doivent avoir toute leur place au sein du CNCPH. Des associations comme Nous Aussi et Advocacy France en sont d'ailleurs déjà membres. Mais des réflexions doivent dès lors être menées pour permettre une plus grande accessibilité, notamment aux personnes avec une déficience intellectuelle. Cela passe, par exemple, par l'utilisation du facile à lire et à comprendre (FALC) dont nous sommes, avec Nous Aussi, les précurseurs et les ardents promoteurs. Par ailleurs, l'objectif n'est pas non plus que seules ces associations soient représentées au CNCPH. Celles qui sont à la fois représentantes des personnes handicapées et de leurs familles et gestionnaires ont un champ plus large, avec la responsabilité de porter une parole collective.

H.fr : Comment ça se passe dans les autres pays européens. On cite par exemple le cas de l'Italie qui a opté pour un virage inclusif et ferait marche-arrière...
LG : C'est ce qui arrive lorsque le virage est pris trop brutalement.

H.fr : Est-ce que le comité d'entente qui réunit la quarantaine d'associations du champ du handicap ou le CNCPH comptent réagir à ce rapport ?
LG : c'est un sujet qui sera à l'ordre du jour d'une prochaine réunion du comité d'entente. Je ne sais pas encore si cela fera l'objet d'une réaction...

H.fr : L'idée, c'était tout de même de faire bouger les lignes…
LG : Je m'en saisis au titre de l'Unapei, et je ne peux pas répondre pour les autres. Nous allons aussi pleinement nous en saisir dans le cadre de la procédure de réclamation collective en cours initiée par le Forum européen des personnes handicapées et Inclusion Europe contre la France, avec le soutien de cinq associations françaises (Unapei, Unafam, Clapeaha, APF et la Fnath).

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