Selon les études existantes, 635 000 personnes handicapées auraient plus de 40 ans et 267 000 plus de 60 ans. En 2035, un tiers des Français aura plus de 60 ans tandis que la population des plus de 80 ans doublera. La société française, consciente de la chance que constitue l'accroissement de l'espérance de vie, doit pourtant faire face à deux préoccupations majeures : s'adapter au vieillissement et s'ouvrir à la question spécifique de l'avancée en âge de ses citoyens handicapés. Afin de relever ces deux défis, elle s'assigne trois objectifs : l'anticipation du vieillissement, la prévention de la fragilité et l'accompagnement des personnes en perte d'autonomie.
Un groupe de travail dédié
Dans ce but, un groupe de travail a été mis en place début 2013 conjointement par le ministère délégué aux personnes handicapées (Marie-Arlette Carlotti) et celui des personnes âgées et de l'autonomie (Michèle Delaunay). Il est animé par Patrick Gohet, inspecteur général des Affaires sociales. « Marie-Arlette Carlotti m'avait alors demandé, confie Patrick Gohet, quelle question relative au handicap il était urgent d'aborder. J'ai aussitôt répondu « l'avancée en âge des personnes handicapées » car il n'y avait pas de réelle stratégie dans ce domaine et aucune politique nationale globale ». Ce fut chose faite, de manière désormais officielle ! Cette initiative porte sur trois axes : la mise en place d'un groupe de travail, la rédaction d'un rapport et la production d'un film (lire article en lien ci-dessous). Le groupe a pour premier objectif de diffuser une image positive du sujet, c'est pourquoi, sans rien ignorer des réalités du vieillissement, il a retenu l'expression « avancée en âge ».
Un rapport et un film en 2013
L'objectif d'une telle démarche? Repérer les bonnes pratiques, étudier les initiatives exemplaires et identifier les difficultés rencontrées par les différents acteurs concernés, en milieu ordinaire ou en institution. Les réflexions conduites par le groupe de travail ont donc donné lieu à un rapport composé de trois tomes : la synthèse des analyses et des préconisations du groupe (tome 1), la compilation des contributions reçues (tome 2) et la somme des comptes rendus des déplacements effectués (tome 3). Publié le 28 novembre 2013 (lien en bas de page pour le tome 1), ce rapport est conçu comme un outil qui permettra, faut-il l'espérer, aux décideurs politiques de prendre les bonnes décisions et d'engager un processus fort. Suggérer tout en étant militant ! Patrick Gohet en est convaincu : « Dans une société comme la nôtre, un sujet comme celui-ci peut faire bouger les lignes et mener vers plus de solidarité et de fraternité. »
Nos ministres se penchent sur le sujet
Cette question fut également abordée lors du récent Comité interministériel du handicap (CIH), en septembre 2013, les interrogations portant notamment sur la formation des accompagnants et les bonnes pratiques dont il conviendrait de s'inspirer. Selon Marie-Arlette Carlotti, « le CIH a donné une feuille de route pour les mois à venir et un premier bilan sera fait lors de la prochaine Conférence nationale du handicap, probablement en septembre 2014. » Quant à Michèle Delaunay, elle déclare que « le handicap sera partie prenante de la politique de l'avancée en âge du gouvernement et de la future loi autonomie. La porte est ouverte vers les maisons de l'autonomie même si les discussions ne sont pas encore closes. Nous saurons trouver des solutions qui consolident les deux secteurs et leur permettent de travailler ensemble. » Sur le terrain, en effet, difficile de savoir à qui s'adresser tant les interlocuteurs en matière de services d'aide et d'accompagnement des personnes handicapées vieillissantes sont nombreux. Quelques exemples : SAAD, SSIAD, SAVS, SAMSAH, SPASAD... « Il convient de mettre les structures en relation et de simplifier les procédures », recommande le rapport. Sur ce point, les avis convergent et revendiquent, pour une politique globale de l'autonomie, une plateforme commune qui tiendrait pourtant compte des besoins et spécificités de chacun.
Vieillesse et handicap : pas la même histoire
Vieillesse et handicap, même combat ? C'est la question qui fut abordée par Henri-Jacques Sticker, philosophe, historien et anthropologue de l'infirmité le 2 octobre 2013 à l'occasion de la conférence dédiée à la présentation du film réalisé à l'initiative du groupe qui s'est déroulée dans le cadre des rencontres du Club Handicap & Société. Mais vieillir, ça veut dire quoi ? Selon lui, cela dépend du point de vue. Au plan biologique, le vieillissement se met en œuvre dès la naissance. Au plan culturel, tous les âges de la vie sont parfaitement séparés. Au plan des politiques sociales, chacun voit midi à sa porte. L'histoire nous enseigne que handicap et vieillissement n'ont pas eu grand-chose à voir ensemble avant le début du XXème siècle. Le handicap était jusqu'alors vécu comme une malédiction ; il n'y avait donc pas de lien logique entre l'avancée en âge et l'infirmité. Après la seconde Guerre mondiale, les politiques publiques évoluent mais restent compartimentées : les personnes âgées, handicapées, le quart-monde... Le principe veut qu'on définisse une population, qu'on forme des professionnels pour s'en occuper et qu'on mette en place des politiques ad hoc mais toujours séparées. On n'efface pas des siècles d'habitudes comme par enchantement !
Autonome et de préférence chez soi
Mais, aujourd'hui, ces politiques ciblées semblent nettement moins justifiées. Car que l'on soit en « situation » de vieillesse ou de handicap, on vise, en général, un même objectif : vivre en autonomie et de préférence chez soi. Ce qui suppose également de guérir chez soi en favorisant des soins ambulatoires au détriment de l'hospitalisation mais aussi une cité et un logement accessibles pour que chacun puisse accéder à tous les services quelle que soit sa fragilité. Une véritable revendication sociale, bien plus globale qu'on ne le pense ! Haro sur l'institutionnalisation qui maintient entre quatre murs. Ce mouvement est né dans les années soixante en Californie et imprègne désormais la France.
Un plan de bataille concordant
La question de la dépendance qui émerge depuis quelques années ne cesse donc de bousculer nos politiques sociales. De la même façon, le monde médical a aussi séparé ses « spécialités » et la gérontologie s'est développée sans connexion avec la médecine de rééducation. Or il apparait évident que les services que peuvent se rendre mutuellement le handicap et la vieillesse sont importants et devraient, le plus rapidement possible, susciter une convergence de politiques communes. Selon Henri-Jacques Sticker : « Tout milite, sur le plan historique, social et philosophique pour construire ce que propose ce groupe de travail. » Alors bientôt un plan de bataille concordant, justifié et en ordre de marche ?