« Ce nouveau décret sur la responsabilité pénale des personnes ayant un trouble psychique est une atteinte à leur liberté », s'insurge Marie-Jeanne Richard, présidente de l'Union nationale des amis et familles de personnes malades et handicapées psychiques (Unafam). Au lendemain de la publication d'un décret au Journal officiel le 25 avril 2022 (en lien ci-dessous), qui complète la loi du 24 janvier 2022 sur l'irresponsabilité pénale, de nombreux psychiatres, associations et usagers sont vent debout. La raison de leur colère ? Un texte qui, en substance, rend potentiellement condamnables les personnes présentant des troubles psychiques si elles ont volontairement rompu leur traitement ou consommé des produits psychoactifs avant une infraction. « C'est extrêmement grave », martèle Marie-Jeanne Richard. Même son de cloche du côté de la Fédération française de psychiatrie qui dénonce une « régression civilisationnelle ».
Un meurtrier jugé irresponsable
Hérité de la Rome antique, le principe de l'irresponsabilité pénale est un débat qui anime la justice depuis des lustres. Il est relancé en avril 2021, dans le cadre de l'affaire Sarah Halimi. La Cour de cassation décide de ne pas retenir la responsabilité pénale du meurtrier de la sexagénaire, tuée en avril 2017. L'état psychique de ce dernier, en proie à une bouffée délirante au moment du crime, liée à une consommation excessive de cannabis, aurait conduit, selon les experts, à une abolition du discernement le rendant pénalement irresponsable. « Cette affaire pose la question de la place à accorder aux personnes qui ont un trouble psychique. Or, aujourd'hui, il semble plus simple de condamner que de soigner. Ça coûte bien moins cher d'enfermer », estime Marie-Jeanne Richard.
Aucune concertation avec la psychiatrie
Pour elle, il est « évident » que ce décret signé du sceau du ministère de la Justice, n'a pas été étudié en concertation avec le ministère de la Santé et encore moins avec le secteur de la psychiatrie. Car, pour certains soignants, cette décision est une aberration d'un point de vue médical. « Puisqu'on acte la responsabilité de la personne dans le déclenchement d'une maladie en cas d'intox ou d'arrêt de traitement, continue-t-on à prendre en charge les cancers du poumon ? Va-t-on rembourser une hospitalisation pour diabète déséquilibré sur arrêt du traitement ? », réagit Boris Nicolle, psychiatre, sur Twitter. Pour autant, dans ces situations, seule la santé de la personne est engagée, ce qui n'est pas le cas lorsqu'elle commet un dommage ou un crime sur autrui... « L'arrêt de traitement du fait d'un déni du patient est très répandu dans toute pathologie chronique et notamment dans les maladies psychiques », complète Marie-Jeanne Richard. De fait, les traitements lourds donnés dans le cadre de schizophrénie ou encore de bipolarité comportent leur lot d'effets secondaires très désagréables, parfois même invivables, et dont le patient préfèrerait se passer. Beaucoup se plaignent de ralentissement de leurs fonctions cognitives, de fatigues chroniques, d'une très forte prise de poids ou encore de troubles de la libido.
Pour la présidente de l'Unafam, ce nouveau décret est le symptôme d'une « dérive sécuritaire » autour de la psychiatrie, encore loin d'être déstigmatisée. « Au lendemain d'une élection, c'est un très mauvais signe envoyé à toutes les parties prenantes de la psychiatrie », le monde des associations et les soignants, qui n'excluent pas de faire un recours juridictionnel pour « réécrire un décret qui n'est pas légal d'un point de vue du droit », assure Marie-Jeanne Richard.