Quelle place pour le handicap dans « la tech », version 3.0 des nouvelles technologies de l'information ? « C'est une source d'innovation majeure qui se répand pour tous, assure Karine Reverte, directrice générale du CCAH (Comité national coordination action handicap). « Les acteurs économiques voient le handicap comme une petite niche sans gros potentiel alors que le numérique est un outil magnifique pour améliorer le quotidien des personnes handicapées, dans l'emploi, le logement, les loisirs… Et des outils conçus pour elles ont souvent bénéficié par la suite au plus grand nombre ». Et de citer la télécommande.
Des idées récompensées
Mais, dans ce domaine, le meilleur cohabite avec le futile et ce levier puissant ne produit pas véritablement tous ses effets. Pour promouvoir des innovations réellement inclusives, les startups de la handi-tech se structurent et joignent leurs forces. Dans ce contexte, le CCAH a lancé, avec le soutien de partenaires*, un appel à projets « Handicap et numérique », à destination de tous. Le premier du genre ! Parmi les deux cents dossiers reçus et onze finalistes qui ont « pitché avec beaucoup de conviction et de trac », quatre se sont vus décerner, le 21 janvier 2020, un prix allant de 64 800 à 80 000 euros, pour une enveloppe globale de 300 000 euros. Ces projets utilisent le numérique pour développer des solutions technologiques puissantes avec une réelle valeur ajoutée pour la vie des personnes concernées. Parmi ces « pépites », des idées novatrices…
Vers un web accessible ?
AM Business a mis au point une technologie d'assistance qui propose des fonctionnalités numériques adaptables à tous les sites web. Sa conceptrice, Marion Ranvier, elle-même « dys », a longtemps souffert pour accéder à la lecture. Selon elle, 60 % des sites ne sont pas accessibles car il est impossible de paramétrer ces critères sur le web. Elle a d'abord imaginé « Aidodys », une plateforme d'aide à la lecture pour les personnes atteintes de troubles « dys » ou déficientes visuelles. Puis, en 2018, elle lance « Adapt mon web », une solution qui permet d'adapter le confort de lecture, « très souple et modulable » selon le jury, conquis.
Ecrire via un mouvement de tête
Parce que communiquer est au cœur des préoccupations, Biomarel a conçu une aide à la communi¬cation avec l'environnement, destinée aux personnes lourdement handicapées qui utilisent uniquement le mouvement de leur tête (éventuellement une souris). Baptisé BM Connect, ce dispositif numérique « unique » interagit avec l'environnement technologique existant (ordinateur, smartphone, tablette, liseuse, domotique, sonnerie infirmier…). Ce projet est né de la rencontre avec Martine, atteinte de la maladie de Charcot, qui a « touché » ses concepteurs. Après dix ans de silence, son premier mot a été pour eux : « Merci ». Le jury a jugé que ce dispositif « tranchait avec l'existant » et « allait permettre à de nombreuses personnes de retrouver une certaine latitude d'expression ». Il est disponible au prix de 999 euros, en cours de prise en charge par l'Assurance maladie.
Communiquer avec les sourds
Pour les personnes sourdes et malentendantes oralisantes, une application a été développée par Le Messageur, proposant une combinaison de technologies pour favoriser leur communication. Son nom ? Messag'in. Ses concepteurs sont partis du constat que les aides auditives ne restaurent pas l'audition et compliquent la vie de ceux qui les portent lors de réunions, d'événements ou de conversations téléphoniques… Ils ont donc créé un « outil de sonorisation des échanges, connecté aux aides auditives / implants ». Chaque interlocuteur dispose d'un smartphone sur lequel il a téléchargé l'application. Lorsqu'un participant prend la parole dans son smartphone, la prise de parole est empêchée sur les autres qui sont dans la boucle, ce qui permet de n'entendre que le son de la voix sans les bruits parasites. Une sorte de « bâton de parole » que l'on passe de main en main et sensibilise l'entourage aux « bonnes pratiques ». C'est d'ailleurs cet « aspect humain » qui a séduit le jury. Messag'in propose également un outil de reconnaissance vocale automatique dans des situations de conversations informelles et un sous-titrage en temps réel, produit par un interprète dans un cadre professionnel (service payant). Selon ses ingénieurs, ce « couteau suisse », qui tient dans la poche, permet de lutter contre l'isolement.
Détecter une crise d'épilepsie
Enfin, dans le domaine de la santé, le centre médical de La Teppe, dans la Drôme, travaille sur la conception d'un outil qui permet de détecter efficacement les crises d'épilepsie, dans un contexte où elles surviennent de manière « brutale » ; il permet ainsi d'éviter aux personnes « de se sentir en insécurité permanente » et peut, surtout, leur « sauver la vie ». Ce système est composé d'un patch connecté, discret, d'une application mobile compagnon et d'un algorithme d'intelligence artificielle, réalisé avec une philosophie Open science (Open source). En effet, à l'issue de ces travaux, ces technologies seront mises gratuitement à disposition de partenaires industriels afin de proposer, au niveau mondial, des équipements abordables pour les patients. 600 000 sont concernés par l'épilepsie en France et 80 millions dans le monde. Parmi eux, 1/3 seraient résistants à tout traitement.
Une vraie valeur ajoutée
« Le numérique, ça ne sert pas seulement à faire des selfies mais ça peut changer des vies », conclut Frédéric Bardeau, président de Simplon.co, partenaire de ces trophées ; cette start-up spécialiste de l'apprentissage de la programmation et du numérique a fait de l'accessibilité de ses formations son cheval de bataille. « Dès 2013, nous avons compris à quel point le numérique pouvait impacter positivement le quotidien des personnes handicapées », ajoute-t-il, une « source inépuisable de solutions facilitantes ». Lors du CES, célèbre salon de l'électronique de Las Vegas qui s'est tenu en janvier 2020, les outils connectés pour le public en perte d'autonomie a fait fureur (article en lien ci-dessous). Encore faut-il s'en saisir à grande échelle... Fin 2019, Marco Zehe, ingénieur AQ Accessibilité Mozilla, déplorait que tant de développeurs fassent l'impasse sur cette « valeur ajoutée » (article en lien ci-dessous). Connexion en cours ?
*Les groupes de protection sociale AGRICA, AG2R La Mondiale, Klesia et Malakoff Médéric Humanis