Handicap : travailler en agriculture, avec ses "différences"

Magali et Laurent Guérin prouvent que l'on peut être sourds et tenir une ferme, grâce à des aménagements. 25 000 Français handicapés travaillent dans l'agriculture. Pour favoriser leur recrutement, des élus publient un guide dédié.

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© Photo d’illustration générale

Par Clarisse Lucas

Egayée par un camélia en fleurs, la longère en granit gris de Magali et Laurent Guérin est entourée par les bâtiments agricoles, comme tant d'autres fermes dans la région. A cette différence près que le couple, à la tête de cette exploitation familiale à Plénée-Jugon (Côtes d'Armor), est sourd. "Peut-être que les gens pensent que ce n'est pas possible" de tenir une ferme quand on porte cette "différence", explique Laurent Guérin, la cinquantaine, par l'entremise d'une interprète en langue des signes française (LSF). Mais "avec les nouvelles technologies, les applications spécifiques, la communication est devenue plus facile".

Des aménagements nécessaires

Il a repris la ferme de ses parents en 1996. Son épouse, après avoir travaillé dans une usine de volailles, l'a rejoint il y a 13 ans sur l'exploitation de 112 hectares où elle s'occupe principalement du volet administratif, développe-t-elle dans la grange où se prélassent sur la litière quelques dizaines de génisses. "C'est un domaine que j'adore, dit-elle. On est dehors, à l'air libre." Elle reconnaît cependant que certaines choses sont parfois plus compliquées avec le handicap, "surtout le week-end ou la nuit, quand il y a un problème". "Si on appelle le véto par mail, c'est moins réactif que par téléphone", convient-elle. Quelques aménagements ont été réalisés pour leur faciliter la vie : au lieu d'alarmes sonores, des signaux lumineux ont été installés, par exemple, dans la salle de traite. Mais, souligne Magali Guérin, pour pallier son handicap, "on apprend à développer d'autres sens. Rien que par le comportement inhabituel d'un animal, je comprends qu'il y a un problème".

Handicap en emploi : 1ère cause de discrimination

Plus que tout, l'agricultrice, qui milite dans une association sur le sujet, veut témoigner : "C'est important de montrer qu'on peut le faire, qu'on en est capable, qu'on peut être autonome". Les discriminations en matière d'emploi des personnes handicapées, "c'est le premier motif de saisine du Défenseur des droits" (Lire : 2022 : le handicap en tête des discriminations depuis 6 ans), affirme Jérémie Boroy, président du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH). "En France, même si le chômage est en baisse, celui des personnes handicapées reste anormalement élevé, de l'ordre de 12 % contre 7,5 % en moyenne nationale" (Lire : Le chômage des personnes handicapées vraiment en baisse ?), relève-t-il. 

25 000 agriculteurs handicapés

Scolarisé en Institut médico-éducatif (IME) de 3 à 16 ans, Alexandre, qui n'a pas souhaité donner son nom, a toujours voulu travailler dans l'agriculture. Mais "j'avais des problèmes de compréhension, dans la lecture, pour mémoriser", retrace le jeune homme de 25 ans. Il a passé son CAP agricole et, avec le soutien d'un service de l'Etat, il travaille désormais en CDI. "Plus de 25 000 personnes handicapées travaillent dans l'agriculture en France (...) Ces métiers offrent des possibilités aussi diverses que variées", expose Marie-Christine Le Crubière, agricultrice et présidente du groupe de travail Egalité-Parité à la chambre d'agriculture de Bretagne.

"Accueillir les personnes différentes"

"C'est dans l'ADN des agriculteurs d'accueillir des personnes différentes (...) Il faut les aider à dépasser leurs peurs, à croire en leurs capacités, qu'ils concrétisent leur projet quel que soit leur handicap", poursuit-elle, lançant un appel aux employeurs : "Mais pourquoi pas embaucher quelqu'un avec une différence? (...) Pour la chambre, personne ne doit rester sur le bord de la route". Au moment où la moitié des agriculteurs vont prendre leur retraite dans les dix ans et où l'agriculture manque de bras, le groupe de travail Egalité-Parité, soucieux de la relève et animé par une "volonté d'inclusion", travaille depuis trois ans sur cette problématique du handicap.

Un guide dédié

Le groupe vient de publier un guide, intitulé "Handi-cap vers l'agriculture", regroupant des témoignages et un ensemble d'informations pratiques, du glossaire aux institutions facilitatrices. Complété par des podcasts, ce guide était présenté à la presse le 14 janvier 2024 à Plénée-Jugon, et le sera également au prochain Salon de l'agriculture.

"80 % des handicaps sont invisibles, rappelle Mme Le Crubière. Il faut faire savoir que les champs du possible sont tout à fait ouverts." Quant à Magali et Laurent Guérin, ils accueillent régulièrement des apprentis et des stagiaires, sourds ou pas.

© Photo d'illustration générale

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