Un enfant autiste refoulé d'une association qui organise des randonnées, une femme interdite d'augmenter son autorisation de découvert, une mineure accueillie dans un centre psychiatrique pour adultes victime d'agression sexuelle... En 2022, encore et toujours le même constat. Lourd. Amer. Le handicap reste, pour la sixième année consécutive, le premier motif de discriminations, devant l'origine et l'état de santé. Principaux obstacles pour les 12 millions de Français concernés ? L'emploi et les biens et services privés (litige commercial, assurance, banque, consommation, transport...).
Rapport annuel du Défenseur des droits
Le 17 avril 2023, le Défenseur des droits (DDD) publie son rapport annuel d'activité. 103 pages pour mettre en exergue « les failles et angles morts des politiques publiques », qui révèlent les « multiples entailles dans les principes qui fondent notre société ». « Ce rapport porte la parole de ceux qui éprouvent des difficultés à faire respecter leurs droits. Prendre en compte cette parole est non seulement une exigence démocratique mais aussi la seule voie pour rétablir la confiance dans nos services publics et nos institutions », affirme en préambule Claire Hédon, à la tête de cette autorité administrative indépendante depuis 2020. Le même jour, le Comité européen des droits sociaux (CEDS), institution du Conseil de l'Europe, épingle la France pour « violation des droits des personnes en situation de handicap et de leurs familles », exigeant de prendre des « mesures immédiates » (Lire : Handicap : la France épinglée par le Conseil de l'Europe).
Une école pas (encore) très inclusive
Année après année, le nombre de réclamations augmente. Parmi les 125 456 adressées au DDD en 2022 -contre 97 220 en 2020 et 115 397 en 2021, soit une hausse de 9 % en un an-, 20 % concernent les personnes handicapées. Sur une centaine de pages, le mot « handicap » ressort 57 fois, en filigrane sur l'ensemble du rapport. De nombreuses saisines révèlent notamment des inégalités d'accès à l'éducation, « malgré l'impulsion politique de ces dernières années visant à rendre l'école inclusive », souligne le rapport. En Occitanie, par exemple, une jeune fille scolarisée en Unité localisée pour l'inclusion scolaire a été privée d'AESH (accompagnant d'élève en situation en situation de handicap). Malgré la notification de la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH), l'académie a avancé que les élèves orientés en Ulis profitaient déjà d'une aide humaine collective. Le DDD a alors rappelé à l'établissement qu'ils pouvaient bénéficier d'une aide individuelle sur tous les temps d'inclusion dans leur classe de référence. La DDD a publié, en août 2022, un rapport spécifique sur L'accompagnement humain des élèves en situation de handicap, dans lequel elle souligne que de nombreuses « décisions octroyant des AESH demeurent ineffectives » (Lire : Manque d'AESH : la Défenseure des droits épingle l'Etat). Ce document de 35 pages exhorte les pouvoirs publics à « revoir leur copie » et liste dix recommandations. Son ambition ? « Adapter la société à l'enfant et non l'inverse. »
La Caf et les commissariats pointés du doigt
Autre exemples ? En Ile-de-France, un adolescent de 16 ans avec autisme a été placé en garde à vue. Sa mère n'a pas été autorisée à rester auprès de lui. Les policiers n'ont pas tenu compte de son handicap. L'enquête du DDD a révélé une « accumulation de manquements portant atteinte à l'intérêt supérieur de l'enfant » et, en particulier, à son droit d'être protégé contre toute forme de violence. A ce titre, Claire Hédon a recommandé au ministre de l'Intérieur de rappeler les textes applicables aux agents concernés (décision 2022-052). En Auvergne-Rhône-Alpes, c'est un homme ayant atteint l'âge légal de départ à la retraite qui s'est vu suspendre le versement du complément de ressources, qu'il percevait en complément de l'Allocation aux adultes handicapés (AAH). Sa Caisse d'allocations familiales (Caf) a considéré que cette prestation ne pouvait plus être octroyée au-delà de cet âge... à tort. De manière générale, la DDD appelle toutes les administrations à rappeler les règles en vigueur et à « lutter efficacement contre le non-recours aux prestations sociales, qui touche massivement les usagers les plus vulnérables ».
Les enfants handicapés face à la maltraitance institutionnelle
Les enfants en situation de handicap sont également « le plus durement soumis aux situations de maltraitance institutionnelle », de même que les personnes âgées dépendantes, celles en situation de précarité économique et sociale, les gens du voyage, les personnes détenues ou encore étrangères, pointe le rapport. Sur l'ensemble de ces enjeux, le Défenseur des droits a développé une stratégie « d'aller-vers ». Pour y parvenir, les pôles régionaux ont engagé une démarche de diversification des lieux de permanences des 570 délégués du DDD, afin d'aller au plus près de ces publics. « De nombreuses démarches ont été entamées, avec les associations, pour permettre un accès plus aisé à l'institution afin de mieux faire connaître les droits et les recours », indique-t-il. Près de 1 000 lieux d'accueil sont ainsi proposés au plus près du terrain : centres communaux d'action sociale, espaces France services, locaux d'associations caritatives, missions locales, maisons de justice et du droit, préfectures, établissements pénitentiaires...
Des relations (toujours) tendues avec les services publics
D'autres obstacles ralentissent fortement l'accès aux droits de tous les citoyens. Avec 82 202 réclamations au compteur, soit une hausse de 14 % par rapport à 2021, les relations avec les services publics cristallisent, cette année encore, les tensions. Trois ans après la publication d'un premier rapport dédié et un an après le second, dans lesquels le DDD alertait sur une « dématérialisation à marche forcée », le constat reste le même : « toujours des préjudices portés aux droits des usagers ». « Lorsqu'un service public ne répond pas, il fait obstacle à l'exercice des droits » et « renforce le sentiment d'isolement », souligne le rapport. Pour rappel, début 2022, seules 40 % des démarches administratives en ligne sont accessibles aux personnes en situation de handicap (Lire : Démarches administratives : seules 40 % accessibles en ligne). « Autrement dit, les deux tiers ne le sont toujours pas, en dépit de l'obligation juridique d'accessibilité inscrite dans la Convention des Nations unies dédiée (CIDPH) », s'impatiente Claire Hédon. « L'égal accès aux services publics ne peut pas être un simple objectif de politique publique parmi d'autres : il constitue le socle de ce que notre pays doit à chacun de ses habitants », assène-t-elle.
IA : une menace au principe de non-discrimination ?
Toujours dans le domaine du numérique, le rapport fait un focus sur l'intelligence artificielle, soupçonnée par le DDD d'accentuer « les risques de violation du principe de non-discrimination et, plus largement, des droits fondamentaux ». Face au déploiement accéléré des technologies biométriques dans tous les secteurs, publics comme privés, l'institution alerte les pouvoirs publics sur la « forte méconnaissance des Français sur leurs usages et leurs conséquences ». Dans un second temps, elle encourage notamment à « s'interroger systématiquement sur l'opportunité d'utiliser une technologie moins intrusive, contrôler les biais discriminatoires et faciliter le droit au recours ». Dans un tout autre registre, la DDD s'inquiète d'une intensification des risques d'atteintes à la liberté d'association, une évolution « hautement problématique dans un Etat démocratique ». Depuis plusieurs années, elle dénonce un « affaiblissement de cette liberté » qui se traduit par exemple par des intimidations des forces de l'ordre à l'encontre d'associations de défense des plus précaires.
Signaler les discriminations en ligne
Parce que la seule solution pour les combattre est, d'abord, de les mettre en lumière, la DDD encourage les personnes victimes de discriminations à les signaler, notamment via la plateforme antidiscriminations.fr, lancée, à la demande du président Macron, en 2021 (Lire : Défenseur droits : un site de signalement antidiscrimination). Entre février 2021 et décembre 2022, plus de 18 000 personnes ont appelé le 3928 ou tchaté avec des juristes en ligne, entraînant une hausse des saisines de 26 %. « Cependant, même en hausse, le niveau des saisines ne reflète pas l'ampleur des discriminations, et le non-recours reste très largement majoritaire, interpelle le nouveau rapport du DDD. Il est essentiel que la plateforme soit davantage connue par le grand public. » Par ailleurs, il est possible de contacter le Défenseur des droits en Langue des signes française (LSF) ou Langage parlé complété (LPC) via une plateforme destinée aux personnes déficientes auditives, du lundi au vendredi de 9h à 17h30.
« La prise en compte et l'analyse des cas qui nous sont soumis, d'une part, la poursuite de la sensibilisation de nos partenaires et des autorités, d'autre part, seront nos priorités », affirme George Pau-Langevin, ajdointe du DDD chargée de la lutte contre les discriminations et la promotion de l'égalité.