Depuis janvier 2017, handicap.fr réalise chaque mois un vaste dossier thématique. En avril, l'emploi et la formation des personnes en situation de handicap sont à l'honneur.
Handicap.fr : Vous êtes chef de projet RH Handicap chez Edenred et vous-même en situation de handicap. Comment êtes-vous entrée dans le secteur des ressources humaines ?
Sonia Otmani : À 20 ans, j'ai perdu la vue et suis arrivée soudainement dans le monde du handicap. Je voulais faire du journalisme mais j'ai dû repenser mon avenir. Je venais de rater mon baccalauréat, j'ai dû passer un an à l'Institut national des jeunes aveugles pour appréhender les outils dont j'aurai besoin. J'ai finalement passé mon bac en candidate libre, puis entamé des études d'histoire, par passion plus que par conviction. Je savais que ma licence n'aboutirait pas à un emploi. Je ne voulais pas non plus être professeur et la recherche, du fait de ma cécité, s'annonçait compliquée. J'ai donc préparé les concours de la fonction publique et découvert le domaine des ressources humaines, qui m'a passionnée. J'ai ensuite passé le concours à l'Institut de gestion sociale (IGS), que j'ai réussi.
H.fr : Quel parcours avez-vous connu avant de prendre les rênes de l'association Hangagés ?
SO : Lors d'un salon, j'ai rencontré Agathe Fossier, chargée de mission handicap chez Bosch, qui, quelques jours plus tard, m'a proposé un poste pour l'accompagner sur le déploiement d'une politique handicap déjà en cours au sein de l'entreprise. J'y ai passé deux ans en tant qu'apprentie et me suis régalée ! Là, il n'y avait aucune vision misérabiliste du handicap, les projets étaient menés pour changer les mentalités... Lorsque je me suis remise sur le marché du travail, via l'Apec, après avoir accouché, Edenred m'a contactée pour un poste en 2015. J'ai donc connu Hangagés grâce à Bosch, qui a été partie prenante de la création de cette association, mais j'y suis entrée sous les couleurs d'Edenred. Ensuite, j'y ai été élue en décembre 2016.
H.fr : Comment, en tant que personne handicapée, avez-vous vécu votre intégration professionnelle ?
SO : J'ai connu la vie avec et sans handicap mais je ne me suis jamais vue comme une personne handicapée, alors que je le vis au quotidien. J'ai vite compris que je ne serai jamais pilote d'avion mais je n'ai pas voulu me refuser certaines choses, telles que mes études d'histoire, afin d'éviter des frustrations. D'ailleurs, sur mon CV, je n'indique pas que j'ai une RQTH (reconnaissance qualité de travailleur handicapé). Si un employeur m'appelle, j'ai envie de savoir que c'est bien pour mes compétences et non pas pour l'obligation d'emploi.
H.fr : En tant que professionnelle des ressources humaines, quels freins observez-vous à l'accès au travail des personnes handicapées ?
SO : Je vois plusieurs problèmes. Déjà, certaines formations destinées au handicap ne sont pas adaptées. À l'époque où je cherchais à m'orienter, on m'a même déconseillé de passer le concours à l'IGS. Les premiers jobs qui m'ont été recommandés ne me convenaient pas : empailleur de chaises, accordeur de pianos… On reste encore sur image « ancienne » du handicap, ce qui restreint les secteurs d'activité et le recrutement. On répète encore trop souvent aux personnes en situation de handicap qu'il existe des postes spécifiques pour eux vers lesquels se diriger… Par ailleurs, le mot d'ordre que j'ai entendu à chaque fois, surtout de la part d'associations et d'organismes de placement, c'est de « prendre son temps ». Cela dépend bien sûr des personnalités de chacun mais pourquoi livrer ce conseil systématiquement ? À trop prendre son temps, on perd son temps.
H.fr : Comment, dès lors, répondre à ces injonctions ?
SO : En envisageant plusieurs options et en évitant de faire du handicap le sujet principal lors d'un entretien. Certains candidats handicapés font des raccourcis et entrent dans le schéma renvoyé par la société. En tant que recruteur, je vois des candidats qui argumentent en nous disant que nous devrions les embaucher pour leur handicap, pour respecter la loi et atteindre le quota des 6%. C'est ce que plusieurs centres d'accompagnement et autres associations leur conseillent de dire. C'est dommage parce qu'à terme, les personnes ne savent pas pour quelles compétences elles sont recrutées. Cela peut venir « casser » le travail que nous faisons en interne, au sein de nos politiques handicap.
H.fr : Justement, sur quoi ces politiques doivent-elles aujourd'hui mettre l'accent ?
SO : Il ne faut pas freiner les personnes handicapées dans leurs ambitions durant les formations, tout comme il ne faut pas leur vendre des projets impossibles à réaliser. En clair, essayer de faire les choses le plus justement possible et concevoir l'accessibilité de façon globale. Concrètement, il s'agit d'être sur les deux fronts : accompagner les élèves handicapés très tôt, même en amont des études secondaires et les diriger vers des professionnels de l'orientation. Je pense aux CIO (centre d'information et d'orientation) et CIDJ (centre d'information et de documentation jeunesse) qui ont une réelle expertise sur tous les types de formations qui peuvent exister. Si les élèves en situation de handicap ne feront pas tous de longues études, ils auront au moins la possibilité de savoir ce qui se fait. En ce qui concerne les travailleurs handicapés qui ont déjà occupé un emploi, les CRP (centre de rééducation professionnelle) sont à leur disposition. Ils ont l'avantage d'exister mais restent un peu éloignés des métiers proposés par l'entreprise aujourd'hui : artisan, agent administratif… D'où l'importance d'encourager des formations plus adaptées et de travailler en concertation avec certaines entreprises, aujourd'hui disponibles pour les accompagner.
H.fr : Quelles sont les ambitions actuelles d'Hangagés et leurs actions à venir ?
SO : Nous comptons organiser, tous les deux mois, des réunions thématiques pour travailler sur les innovations qui existent autour des différents handicaps. Par exemple, chez Edenred, nous coopérons avec Elioz, un centre de relais téléphonique professionnel pour clients sourds et malentendants. Aujourd'hui, la société a compris que les personnes handicapées étaient des travailleurs. Mais ce sont aussi des consommateurs et des clients. Innover en les considérant de cette façon est une manière de gommer la différence. Nous avons par ailleurs lancé une campagne de sensibilisation, du nom de Handi&Cap' (photo ci-dessous), à destination des étudiants, pour dénoncer les clichés qui les touchent dans le milieu professionnel et montrer aux jeunes en situation de handicap que des entreprises peuvent les accueillir.
© WavebreakMediaMicro / Fotolia