Handicap.fr : L'Agefiph (Association de gestion du fonds pour l'insertion des personnes handicapées) a voté un nouveau plan stratégique. Sur quoi met-il l'accent ?
Didier Eyssartier : Ce plan est relativement ambitieux et graduel. D'abord, il concerne la mobilisation nécessaire de l'ensemble des politiques d'emploi de droit commun au profit des personnes handicapées. Nous souhaitons renouveler notre appui en mettant l'accent sur le champ de la compensation du handicap. Il s'agit aussi de contribuer à la sécurisation des parcours, notamment lors des transitions professionnelles. Enfin, nous avons le souci de prendre en compte, le mieux possible, le point de vue des bénéficiaires, et d'analyser la qualité du service rendu en suivant une logique d'amélioration continue.
H.fr : Comment contribuer à sécuriser d'avantage l'accès à l'emploi en cas de handicap ?
DE : Pour nous, cela passe par une meilleure anticipation des situations à risque, et donc par une intervention plus précoce, qui implique de mobiliser l'ensemble des acteurs de l'emploi. Ce plan consiste aussi à apporter des solutions concrètes aux TPE (très petites entreprises) et aux PME (petites et moyennes entreprises), qui ont des problématiques particulières. Dans ce cas, nous pouvons agir avec du conseil direct aux entreprises. Nous réfléchissons également à des missions de référents handicap mutualisées entre petites entreprises, l'idée étant d'apporter une réponse de proximité pour ces entreprises qui n'ont pas toujours la capacité et les ressources dédiées pour déployer une politique handicap ambitieuse. Nous souhaitons par ailleurs nous adresser à un public plus large, pour ne pas nous limiter aux bénéficiaires directs, avec comme ambition, par exemple, le développement d'outils et de services mobilisables par les acteurs du monde économique et social lors de négociations. En somme, nous souhaitons nous positionner comme une force de proposition en mettant à disposition les expertises de l'Agefiph.
H.fr : Vous évoquez les situations à risque. Quel(s) exemple(s) avez-vous en tête ?
DE : Je pense aux risques de désinsertion professionnelle, par exemple lorsque le handicap arrive en milieu de carrière. Dans ce cas, il est primordial de mobiliser les dispositifs de maintien dans l'emploi, voire d'anticiper et de travailler avec les personnes et les acteurs afin d'éviter trop d'attente dans la recherche de solutions… Nous essayons également de faire abstraction des statuts : dans les phases de transition, certains sont encore salariés, pas demandeurs d'emploi. Pourtant, le besoin d'un nouvel emploi est bien là. Notre idée est de faire sauter le verrou de ces statuts et de fluidifier le recours aux différentes aides.
H.fr : Vous affirmez également vouloir aller plus loin en matière d'innovation.
DE : Nous voulons nous appuyer sur l'innovation pour construire les solutions de demain. À l'image de ce qui se passe en matière d'emploi accompagné, nous avons effectué 11 expérimentations avant la loi de l'été 2016, aujourd'hui transformées en offre pérenne. Avec Science Po, nous mettons également en place un dispositif d'innovation pédagogique pour faire émerger puis diffuser les bonnes pratiques. Nous sommes à la recherche de ce qui pourrait être innovant. Si cela aboutit à des expériences positives, nous essaierons de l'essaimer. Au niveau de la formation, nous avons développé des indicateurs de qualité spécifiques au handicap, qui viennent compléter les indicateurs « classiques » mis en place pour évaluer la qualité d'une formation.
H.fr : Concrètement, à quoi aboutiront ces nouvelles stratégies ?
DE : Elles doivent conduire à la rénovation de nos aides, services et des prestations proposées, l'objectif étant que cette nouvelle offre soit finalisée pour début 2018, dans une logique de simplification et de meilleure visibilité. Nous souhaitons également faire en sorte que ces adaptations permettent aux acteurs de droit commun, tels que Pôle Emploi ou les missions locales, de les mobiliser plus facilement. Nous sommes, par ailleurs, en train d'actualiser, avec l'État et nos partenaires dont le FIPHFP, l'offre de service des organismes de placement spécialisés qui reprendra, en l'améliorant l'offre des CAP Emploi et des SAMETH (service d'aide au maintien dans l'emploi des travailleurs handicapés), pour qu'elle soit plus adaptée.
H.fr : Quels sont, selon vous, les principaux obstacles à l'accès à l'emploi pour les personnes en situation de handicap ?
DE : Ils sont très variés. D'abord, nous vivons dans un monde où le nombre de personnes handicapées progresse très vite. Aujourd'hui, le taux d'emploi des personnes handicapées au sein des entreprises de plus de 20 salariés n'est que de 3,3% (en équivalent temps plein) et le taux de chômage des personnes handicapées de 18%. L'un des principaux freins réside dans le fait que les idées reçues sur le handicap demeurent chez les recruteurs, qui considèrent qu'une personne handicapée ne peut pas forcément faire le job, alors qu'elle apporte souvent une valeur ajoutée complémentaire.
H.fr : D'autres obstacles viennent également des travailleurs.
DE : Certaines personnes handicapées pensent en effet ne pas être capables d'occuper un poste. C'est là que l'accompagnement doit se faire. En réalité, il y a bien plus d'emplois accessibles au handicap qu'on ne le pense ! D'autres problématiques se situent au niveau de la formation : certaines, trop longues, peuvent impressionner ou décourager, notamment en cas de fatigabilité. Il faut donc pouvoir en simplifier l'accès. Là aussi, il s'agit d'agir sur le droit commun. Enfin, il faut savoir que l'accompagnement doit se faire après le recrutement. Des problématiques apparaissent une fois la personne intégrée dans l'entreprise. Il convient donc d'apporter des réponses personnalisées le plus possible, sur le long terme. Les mesures à mettre en place en priorité consistent donc à mieux cibler les moyens d'accompagnement et à responsabiliser le droit commun. L'intégration des personnes handicapées dans l'emploi doit être au cœur des préoccupations des politiques publiques, sachant que plus de 8% des demandeurs d'emploi sont aujourd'hui en situation de handicap.
© Sylvie Scala