Dimanche 23 septembre 2018, à l'aéroport d'Orly, 8 jeunes attendent d'embarquer pour Brest sur le vol AF 7370. Ils regagnent leur établissement spécialisé de Châteaulun (Finistère), le seul ITEP en France dédié aux enfants épileptiques, après avoir passé un week-end en famille. Aux portes de l'avion, sur le tarmac, le commandant de bord leur refuse l'entrée, avec ces mots : « On ne prend pas les handicapés sur ce vol ». Sa cheffe de cabine considère en effet que la prise en charge de 8 jeunes handicapés est trop lourde.
Des clients réguliers
Ce vol est pourtant régulièrement emprunté par les jeunes depuis plusieurs années et sans qu'aucun incident n'ait été à déplorer. « Cela fait 60 ans que cet établissement a ouvert, et ce petit groupe prend ce vol une semaine sur deux depuis des années », explique Lucas Christophe, le papa d'un garçon de 16 ans. Seuls les parents qui étaient encore à l'enregistrement avec leur enfant sont informés de ce refus. Les autres accompagnants, non avertis, ont quitté l'aéroport après avoir attendu, selon les règles d'Air France, la confirmation du décollage sur les écrans de l'aérogare.
Sous-traité à une autre compagnie
Ce vol de la compagnie Hop! (filiale d'Air France) a été sous-traité à son homologue Bulgaria Air. Or ses règles de sécurité diffèrent : pas plus de 4 « personnes à spécificité » sur ses vols quand Air France ne prévoit aucune limite. Raccompagnés dans l'aérogare, les jeunes se voient remettre un ticket-repas et sont informés d'un probable départ sur un vol plus tard dans la soirée. Ils restent livrés à eux-mêmes alors qu'ils sont bel et bien identifiés par Air France dans le procédure Saphir (personne en situation de handicap) et UM (Mineur non accompagné). « Un manquement grave de la part d'Air France car ils n'auraient pas dû rester seuls », déplore l'association Epilepsie France qui s'appuie sur l'enquête menée par la journaliste Elsa Grangier (article complet en lien ci-dessous).
Des procédures précises
Il existe pourtant des procédures destinées à garantir la sécurité et un accompagnement tout au long du vol des mineurs non accompagnés et des personnes handicapées ou à mobilité réduite. « Ce protocole n'a pas été respecté : ni par le commandant de bord et son équipage ni par la compagnie Air France qui aurait dû veiller à ce qu'un membre de son personnel reste avec les mineurs non accompagnés afin de garantir leur sécurité et de veiller à ce qu'ils se restaurent normalement. Ce sont des enfants épileptiques et personne ne s'est préoccupé de savoir s'ils avaient besoin de soins. En outre, la compagnie aurait dû prévenir les parents de ces jeunes dès la notification du refus de prise en charge », poursuit Lucas. Hop! reconnaît pudiquement sur les attestations de non-embarquement remises aux parents présents que le motif est « Non autorisation du pilote de passagers avec spécificités ». A l'oral, la version officielle communiquée par Air France aux familles et à l'établissement des jeunes est « Absence de certificats médicaux rédigés en anglais ». Dans un communiqué, Hop! précise : « Cette situation exceptionnelle ne correspond pas au fait que Hop! transporte toute l'année de très nombreux passagers en situation de handicap, grâce au service particulier Saphir mis en place pour répondre aux attentes de ces clients. ».
Discrimination violente
L'association Epilepsie France déplore, de son côté, « un nouvel exemple de discrimination accrue par la violence du message adressé aux personnes épileptiques et, de façon générale, handicapées ». « On est discriminés parce qu'on a un handicap, c'est déjà assez lourd comme ça », confirme A., un des jeunes passagers âgé de 16 ans. « Cette accumulation de comportements et de propos d'une violence extrême les amène à intérioriser une image d'eux-mêmes profondément négative, où la maladie et le handicap sont synonymes de faiblesse et sources de culpabilité. Le message qui leur est ainsi envoyé, c'est celui d'une société dans laquelle ils n'ont aucune place. », insiste Epilepsie France.
Les enfants ont finalement pu embarquer sur le vol suivant mais « ne sont arrivés au centre qu'à 23h30 avec beaucoup de stress et de fatigue », conclut Lucas. La compagnie a affirmé à ce papa qu'elle mettra tout en œuvre pour qu'un tel incident de ne se reproduise pas et a, selon lui, « présenté ses plates excuses ». Mais, pour son prochain voyage, Lucas assure qu'il accompagnera son fils jusqu'à la porte de l'avion.