IA : diagnostiquer l'autisme par les doigts, trop réducteur!

Diagnostiquer l'autisme en analysant les mouvements des doigts ? C'est l'hypothèse avancée par des chercheurs canadiens et israéliens. Deux experts français réagissent à cette technique qu'ils jugent réductrice et insuffisante.

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Une main fait un signe de « petit » avec son pouce et son index.

Détecter l'autisme en analysant simplement le mouvement des doigts, c'est la promesse d'une équipe de chercheurs issus du département de psychologie de la York University à Toronto (Canada) et de l'Université de Tel-Aviv (Israël). Selon eux, l'Intelligence artificielle (IA) permettrait de détecter des « altérations motrices », l'une des caractéristiques clé des troubles du spectre autistique (TSA). Objectif ? Favoriser un diagnostic précoce. Selon les scientifiques, ces troubles « pourraient en effet être reconnus dès la première année d'âge, avant l'apparition des déficits de communication sociale classiques ». Leurs travaux ont été publiés dans la revue internationale Autisme research le 17 avril 2025.

Treize paramètres cinématiques analysés

Pour vérifier leur hypothèse, ils ont équipé 59 jeunes adultes, dont 30 diagnostiqués autistes, de deux capteurs de mouvement, sur le pouce et l'index. Leur mission : saisir, exclusivement avec ces deux doigts, cinq objets rectangulaires placés à 30 centimètres de distance, sur une table. Les chercheurs ont ensuite analysé différents paramètres tels que la trajectoire des deux doigts, la vitesse de l'ouverture de préhension, l'emplacement, le timing, les caractéristiques de stimulation... Ces données ont ensuite été traitées par cinq algorithmes de classification, entraînés à distinguer les profils autistiques de ceux qui ne le sont pas.

Un taux de réussite élevé

Verdict ? « Nous avons révélé que la sensibilité – la proportion d'individus autistes correctement identifiés -– variait d'environ 85 % à 89 %, tandis que la spécificité -– la proportion d'individus non autistes correctement classés – variait entre 84 % et 90 % », se félicitent les chercheurs. « Ces résultats suggèrent que les différences subtiles de contrôle moteur peuvent être efficacement capturées, offrant une approche prometteuse pour développer des outils de diagnostic accessibles et fiables pour l'autisme », estiment-ils.

Une méfiance à l'égard des « effets miracles dans les études »

En France, les experts émettent quelques réserves... Etienne Pot, délégué interministériel à la stratégie nationale des troubles du neurodéveloppement (TND), appelle à « regarder cette hypothèse, comme beaucoup d'autres dans le champ de l'autisme, avec un œil scientifique ». « Et, vu le faible effectif de l'étude, il faudrait aller beaucoup plus loin », estime-t-il. « Je me méfie des effets miracles dans les études, on vit depuis plusieurs années un véritable engouement autour de l'eye tracking (ndlr, qui promet de diagnostiquer l'autisme en analysant les mouvements oculaires), pour autant ça n'est pas devenu un outil diagnostique. »

Des signes « insuffisants » pour établir un diagnostic

« Les variations de la motricité fine sont, certes, des signes mais ce n'est pas suffisant pour établir un diagnostic, qui s'appuie principalement sur le fonctionnement neurologique », abonde Chams-Ddine Belkhayat, président de l'association Bleu network et papa d'un enfant concerné. « L'autisme est un trouble du neurodéveloppement, ce n'est pas un trouble psychomoteur ou de la motricité », rappelle le co-auteur du livre Autisme : comprendre pour mieux accompagnerCes symptômes doivent donc « être couplés à des critères d'observation sur le fonctionnement cognitif et le traitement de l'information, puisque l'autisme, avant d'être des gestes atypiques, des stéréotypies, des routines, etc., c'est avant tout un traitement de l'information différent ».

L'autisme réduit à une signature motrice ?

Par ailleurs, « certaines personnes autistes n'ont pas ou très peu de stéréotypies gestuelles ou de difficultés de préhension donc le risque de se fier à cet unique critère est de passer à côté d'elles ou d'attribuer des TSA à des personnes qui ne le sont pas », suppute Chams-Ddine Belkhayat. Il prend notamment l'exemple des enfants non autistes qui, touts petits, utilisent le flapping (battement rapide des mains), afin de réguler leurs émotions, « mais cela disparaît avec le temps ». Il craint que ce type d'études ne réduise l'autisme à une signature motrice ou algorithmique, en oubliant sa diversité.

Une stratégie diagnostique à plusieurs composantes

« Ces travaux montrent néanmoins qu'à l'avenir, le diagnostic d'autisme pourrait faire appel à plusieurs tests dans des dimensions différentes », indique Etienne Pot, qui « croit beaucoup plus à une stratégie diagnostique à plusieurs composantes qu'à une stratégie unique ». Par ailleurs, « tous ces nouveaux tests doivent se confronter à une réalité de l'autisme très large, de la personne avec une déficience intellectuelle jusqu'à celle sans TDI, etc… sans oublier l'épilepsie qui peut aussi influencer ces tests », souligne-t-il.

Les difficultés motrices insuffisamment prises en compte

Les spécialistes s'accordent toutefois à dire que les difficultés motrices des personnes autistes ne sont « très certainement » pas suffisamment considérés lors de la pose d'un diagnostic. « De façon générale, les troubles associés et les comorbidités connues, tant dans le champ somatique que de la santé mentale sont insuffisamment prises en compte ; même si nous progressons grâce à nos cinq centres d'excellence et l'ensemble des centres ressources autisme (CRA) », complète Etienne Pot.

L'IA, outil prometteur mais pas autonome

Ce dernier se dit tout même « très attentif à toutes les évolutions qui pourraient réduire le délai d'un diagnostic ». Dans ce contexte, l'IA apparaît comme un « un outil d'avenir sur lequel j'encourage tous les chercheurs de notre pays à veiller ». « Cette technologie est en effet très prometteuse, à condition de la coupler à l'intelligence humaine », rebondit M. Belkhayat. Il précise : « L'IA ne doit pas être un outil autonome car l'observation des principales caractéristiques autistiques – la communication, les interactions sociales, les stéréotypies, les intérêts restreints – nécessitent une connaissance humaine de tout ce qu'est l'autisme. » Mais, « aujourd'hui, l'enjeu majeur n'est pas tant le diagnostic précoce chez les tous petits que le repérage précoce, qui, lui, est l'affaire de tous, parents mais aussi professionnels du secteur de l'enfance et de la petite enfance », et nécessite effectivement une attention accrue... de l'Humain, conclut le délégué interministériel.

© Geralt de pixabay

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Cassandre Rogeret, journaliste Handicap.fr"
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