Handicap en emploi : grand écart entre discours et réalité

Le 1er Observatoire de l'inclusion révèle un fossé entre les engagements affichés et le vécu des salariés. Et les personnes handicapées sont les premières à en payer le prix : sentiment d'isolement, équité fragile, management défaillant. Décryptage.

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Des figurines se tiennent la main mais sont séparées par un écart.

« L'inclusion ne se résume pas à des engagements écrits. Elle se joue dans la façon dont les managers accompagnent les singularités », estime Patrick Scharnitzky, docteur en psychologie sociale. Une mise en garde qui prend tout son sens à la lecture du premier rapport global de l'Observatoire de l'inclusion (ODI), publié en novembre à l'occasion de la Semaine européenne pour l'emploi des personnes handicapées (SEEPH) 2025.

Mené par le cabinet AlterNego et l'Association française des managers de la diversité (AFMD), il s'appuie sur les réponses de 23 351 salariés issus de dix grandes organisations françaises. Cette vaste étude met en lumière un paradoxe saisissant : jamais l'inclusion n'a été autant valorisée dans les chartes, les stratégies RH ou les campagnes internes. Pourtant, dans les faits, elle reste encore trop peu incarnée dans les pratiques managériales. Et lorsque l'on interroge les premiers concernés, le constat est clair : le chemin vers une inclusion réelle est encore long.

Le handicap, une diversité plus exposée

L'ODI évalue l'inclusion à travers plusieurs critères déclarés par les salariés : genre, âge, origine, religion, orientation sexuelle, situation familiale… Mais le handicap apparaît comme l'un des marqueurs les plus sensibles de l'inclusion réelle. Ses scores figurent systématiquement parmi les plus bas, révélant une différence encore difficile à accueillir dans les organisations. Cette vulnérabilité particulière en fait un véritable révélateur : lorsque le handicap est mal vécu, l'inclusion globale l'est généralement aussi.

Un sentiment d'inclusion particulièrement bas

Dès les premières lignes, un chiffre interpelle : seuls 4 % des répondants se déclarent en situation de handicap. Un taux largement inférieur à l'objectif de 6 % de travailleurs handicapés de l'effectif total des entreprises de 20 salariés et plus, qui témoigne de freins tenaces : la peur d'être stigmatisé, le doute sur la confidentialité des données, l'absence d'aménagements visibles ou encore une culture d'entreprise insuffisamment inclusive.
Le sentiment d'inclusion des personnes handicapées s'établit ainsi à 51/100, l'un des plus bas de l'ODI. Ce score illustre un vécu souvent marqué par l'isolement, l'autocensure ou la difficulté à exprimer des besoins spécifiques.

Plus la minorité est petite, plus l'exclusion est ressentie

L'étude met en évidence un phénomène clé : plus un groupe minoritaire est réduit, plus son sentiment d'exclusion augmente. Le coefficient de +0,61 traduit une relation forte entre rareté numérique et isolement ressenti. Plus les personnes handicapées sont isolées dans leur organisation, moins elles se sentent légitimes ou accompagnées. Les auteurs du rapport sont clairs : les politiques handicap demeurent fragiles, davantage centrées sur la conformité réglementaire que sur une véritable dynamique culturelle et humaine. Tant que le handicap restera traité comme un sujet administratif plutôt qu'un enjeu managérial relationnel, l'inclusion ne dépassera pas le stade de l'intention, pointent-ils.

Le management, premier maillon faible de l'inclusion

Autre enseignement majeur : le management, pourtant pivot des politiques de diversité et d'inclusion, est la dimension la moins investie, avec un score de 47/100 pour les actions entreprises. Cette faiblesse structurelle pèse directement sur le quotidien des équipes. Seuls 58 % des salariés estiment que leur manager intervient en cas de micro-agressions, et 54 % qu'il sait gérer les tensions internes. Le terrain révèle un manque de réflexes et de formation face aux situations sensibles, notamment lorsqu'elles touchent le handicap. L'écart de perception entre managers et collaborateurs est tout aussi saisissant : les premiers affichent un sentiment d'inclusion de 66, contre 56 pour les non managers. Une différence qui interroge la capacité des managers à percevoir – et donc accompagner – le vécu des minorités.

Équité : un socle indispensable, mais encore vacillant

L'équité, pierre angulaire de toute démarche inclusive, peine, elle aussi, à s'ancrer durablement. Avec un score de 53/100, elle apparaît comme l'un des piliers les plus fragiles de l'étude. Moins de la moitié des salariés (48 %) estiment être traités équitablement, et seulement 40 % considèrent que leurs dirigeants reflètent réellement la diversité de l'entreprise. Pour les salariés handicapés, le ressenti est encore plus fragile : leur score d'équité chute à 46/100, une fois de plus l'un des plus bas de l'ODI.

Passer de l'intention à la transformation

Le rapport offre néanmoins une lueur d'espoir : plus les organisations agissent, plus l'inclusion progresse. La corrélation de +0,53 entre actions déployées et impacts perçus montre que les efforts sincères produisent des résultats. Les leviers sont connus : renforcer la formation des managers, faciliter les demandes d'aménagements, renforcer la visibilité du handicap dans l'entreprise, rendre plus accessibles les dispositifs d'alerte, créer des espaces de dialogue, installer une culture où la singularité n'est plus perçue comme un risque mais comme une richesse. L'enjeu n'est pas de multiplier les engagements, mais d'ancrer l'inclusion dans les interactions du quotidien.

Vers une inclusion enfin incarnée ?

À l'heure où les entreprises affichent de plus en plus d'ambitions inclusives, l'ODI rappelle une vérité essentielle : l'inclusion ne se décrète pas, elle se pratique. Et, selon ses auteurs, elle ne pourra progresser qu'en sortant de la logique du « silo » : considérer le handicap non comme un sujet à part mais comme une composante pleine et entière de la culture d'entreprise. Une invitation à transformer durablement les pratiques pour que l'inclusion cesse d'être une promesse… et devienne enfin une expérience partagée.

© Timsa de Getty Images Signature

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Cassandre Rogeret, journaliste Handicap.fr"
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