Par Grace Matsiko
Husnah Kukundakwe n'a que 14 ans, en 2021, lorsqu'elle découvre les Jeux paralympiques à Tokyo, et dispute le 100m brasse, alors qu'elle ignorait quelques années auparavant l'existence de la para natation.Née sans avant-bras droit et avec une malformation à la main gauche, cette jeune Ougandaise débute sa grande histoire avec la natation à trois ans seulement, âge où elle met pour la première fois les pieds dans un bassin...
1ère victoire à 9 ans face à des "valides"
"J'allais là-bas, je jouais, je me promenais dans l'eau et je me sentais bien. J'adore être dans l'eau", déclare l'adolescente, aujourd'hui âgée de 16 ans. Mais son enthousiasme n'est pas partagé par sa mère, qui "s'inquiétait parce qu'elle pensait que je ne pourrais pas nager". "Puis elle s'est rendue compte que j'allais continuer d'aller dans l'eau et elle a fini par céder", raconte-t-elle en marge d'une séance d'entraînement dans une banlieue de Kampala, la capitale ougandaise. Un acharnement qui paie. A 9 ans, elle remporte sa première course, face à des enfants "valides". "Cela a ouvert les yeux de ma mère sur le fait que je pouvais progresser", dit-elle en souriant. Mais l'adolescente n'aurait jamais imaginé participer à des compétitions internationales, malgré les heures passées dans les bassins chaque semaine sous les yeux de sa mère, désormais sa manager.
Son 1er bain avec des para nageurs
Un déplacement au Kenya voisin à l'âge de 11 ans est un tournant pour celle qui n'avait jusqu'alors côtoyé que des nageurs "valides" : à Nairobi, elle découvre d'autres sportifs handicapés. "J'ai commencé à me sentir bien avec moi-même, raconte-t-elle. Si des personnes avec plus de handicaps que moi (...) se sentaient à l'aise et en confiance en faisant ce qu'elles aiment le plus, à savoir nager, alors pourquoi pas moi ?"
Sa 1ère qualif' pour les Jeux paralympiques
Elle obtient un certificat l'autorisant à participer à des compétitions internationales, puis prend part aux World Para Swimming World Series en 2019 à Singapour. Avant la consécration : une qualification pour les Jeux de Tokyo. Mais la décision des autorités ougandaises de fermer piscines et gymnases durant la pandémie de Covid bouleverse sa préparation. Pour maintenir sa condition physique, Husnah Kukundakwe fait du jogging avec son père, ingénieur, ou ses frères aînés. Et suit des entraînements... via Zoom.
Des rencontres inspirantes
Au Japon, en août et septembre 2021, elle participe au 100m brasse SB8. Elle ne parvient pas à atteindre la finale mais améliore son record personnel (1:34.35). Une expérience à la fois "incroyable" et "angoissante parce que j'étais en compétition avec des légendes paralympiques et que je rencontrais également mes modèles". Une rencontre fut particulièrement marquante : celle avec la nageuse irlandaise Ellen Keane, médaillée d'or sur 100 m brasse SB8. "Je prie tous les jours pour lui ressembler", affirme l'adolescente. Son ambition dépasse les titres et les médailles. "Mon principal objectif en participant à des compétitions internationales est d'inspirer les personnes handicapées, en particulier les enfants, pour qu'ils réalisent leurs rêves autant que possible", assure-t-elle.
Des discriminations persistantes
L'enjeu est de taille en Ouganda, pays de la région des Grands lacs et l'un des moins développés de la planète, où les enfants handicapés sont fréquemment considérés comme des fardeaux et abandonnés par leurs familles. Selon la Commission ougandaise pour l'égalité des chances, les personnes en situation de handicap restent confrontées à la stigmatisation et à la discrimination et se voient refuser l'accès aux services publics tels que la santé et l'éducation. Jeune ambassadrice pour le Comité international paralympique, Husnah Kukundakwe commence à voir les mentalités évoluer. "Quand je reviens de compétition, les gens viennent me dire 'Bonjour Husnah, bienvenue'. Avant, ils me regardaient, voire me fixaient, et me montraient du doigt", déclare-t-elle.
Future championne... et pédiatre ?
"Ma carrière a changé les regards. Les gens ne me voient plus comme une fille handicapée mais comme quelqu'un qui voyage à travers le monde en tant que nageuse professionnelle", assure Husnah Kukundakwe.Si elle rêve déjà des Jeux de 2028 à Los Angeles, elle est actuellement concentrée sur l'entraînement qui devrait la mener aux Jeux paralympiques de Paris 2024. Et son ambition ne se limite pas aux bassins. "Même si j'aime nager, je ne peux pas le faire éternellement", explique-t-elle. Elle nourrit un autre rêve : devenir pédiatre.
© Instagram Husnah Kukundakwe PLY