"Peut-être qu'il va mourir avant nous. Peut-être que ce serait le plus doux pour lui". A 72 ans, Marie peine à imaginer l'avenir de son fils trisomique quand elle et son époux ne pourront plus s'en occuper. Les personnes avec une trisomie 21, au coeur d'une journée mondiale samedi 21 mars 2015 (articles en lien ci-dessous), ont vu leur espérance de vie tripler, passant de 20 ans dans les années 1930 à 65 ans aujourd'hui.
« Quand nous vieillirons, ça va coincer ! »
Fruit d'une meilleure prise en charge médicale (notamment d'opérations cardiaques souvent nécessaires à leur survie) et sociale, cette avancée est paradoxalement source d'anxiété pour leurs familles. Marie, elle, ne veut pas se "parasiter avec l'angoisse" autour du devenir de son fils qui, à 38 ans, travaille, fait du sport, mais ne peut pas conduire ni se préparer à manger. "A un moment donné, quand nous vieillirons, ça va coincer, forcément". Elle aimerait éviter de le placer dans une structure collective, trouve "réconfortante" la promesse d'une de ses filles de le prendre en charge, mais ne veut pas "lui imposer une situation trop compliquée". Au final, "je ne vois pas trop la place que la société réservera à mon fils", confie-t-elle.
La grande question des années à venir
"L'accueil des personnes trisomiques vieillissantes sera la grande question des années qui viennent", estime Christian Galtier, directeur général de la Fondation John Bost, institution protestante fondée en 1848 pour accueillir "ceux que tous repoussent". Pour lui, "les pouvoirs publics ont conscience des enjeux mais les contraintes économiques font qu'on n'a pas forcément les solutions". En l'absence de données nationales, les spécialistes du secteur livrent des estimations prudentes sur le nombre de personnes concernées. Jacqueline London, vice-présidente de l'Association française pour la recherche sur la trisomie 21 (AFRT) estime qu'il pourrait y avoir 5 à 7 000 personnes âgées sur les 70 000 personnes vivant avec cette anomalie génétique en France. Tous s'accordent cependant sur un point: ces chiffres vont exploser et nécessiteront une prise en charge adaptée à la fois aux pathologies des trisomiques mais aussi à leur histoire personnelle.
Des soignants pas assez formés
Sur le plan médical, "ils sont protégés des maladies cardio-vasculaires et de certains cancers (sein, prostate...) mais ils ont un vieillissement accéléré, avec notamment des cataractes précoces, des glaucomes, une forme d'ostéoporose....", souligne Jacqueline London. Pour les formes les plus sévères de trisomie, l'avancée en âge peut engendrer des troubles du comportement, ajoute Bernard Kierzek, directeur
médical à la Fondation John Bost. "Des gens joyeux, empathiques, développent des troubles de l'humeur (tristesse, repli...) et du comportement (agitation et agressivité), qui s'ajoutent au tableau classique de la démence sénile (perte de mémoire, repères spatiaux)", explique-t-il. A chaque profil, il faudra des soignants formés. "Mais il n'y a pas de gérontologues spécialistes de la trisomie, alors qu'il y a plein de pédiatres", déplore Jacqueline London.
Pas de réponse unique
Quant au type de structure adéquate (maisons de retraite classiques, centres spécialisés dans le handicap, aide au maintien à domicile), "il n'y a pas de réponse unique", insiste Christel Prado, présidente de l'Unapei, qui fédère 550 associations de défense des personnes handicapées mentales. Pour elle, "il faut prendre en compte le vécu de la personne". Une personne trisomique qui aura toujours vécu avec sa famille "aura des difficultés à s'adapter à la collectivité", confirme Pierrette Cino, directrice du foyer Le Verger dans le Rhône, où vivent des seniors avec déficience intellectuelle. A l'inverse, des personnes habituées à une structure ne souhaitent pas aller en maison de retraite, même si leur dossier médical se complique, parce qu'elles ne veulent pas perdre leur réseau social.
Fin 2013, un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) avait préconisé "une véritable stratégie nationale" pour répondre au vieillissement des personnes handicapées qui aspirent "à vieillir dans leurs lieux de vie habituels" (article en lien ci-dessous). Un an et demi plus tard "rien n'a changé", déplore Christel Prado. Pire, dit-elle, "la loi sur l'adaptation de la société au vieillissement, en débat au Parlement, n'aborde pas la question".
Par Charlotte Plantive