Par Karine Perret
En février 2020, l'information avait provoqué une onde de choc dans le milieu catholique : l'Arche, une fédération d'associations fondée par Jean Vanier et qui accueille dans 38 pays des personnes ayant une déficience intellectuelle, avait dévoilé un rapport interne mené par un organisme indépendant (Lire : Révélations Jean Vanier : résidents de l'Arche sous le choc ). Ce dernier révélait que Jean Vanier avait eu avec six femmes adultes (et non handicapées), dont certaines vulnérables, "des relations sexuelles, généralement dans le cadre d'un accompagnement spirituel, et dont certaines ont gardé de profondes blessures".
25 femmes
Le 30 janvier 2023, une commission d'étude indépendante, mise en place en novembre 2020 par l'Arche internationale et composée de six chercheurs, a rendu ses conclusions qui portent aussi sur le dominicain Thomas Philippe, l'aumônier de l'Arche et père spirituel de Jean Vanier décédé en 1993. Ce document de 900 pages, transmis à la presse, révèle que non pas six, mais 25 femmes majeures, célibataires, mariées ou consacrées, non handicapées, ont été identifiées pour avoir "vécu, à un moment de leur relation avec Jean Vanier, une situation impliquant un acte sexuel ou un geste intime", entre "1952 et 2019".
Un continuum de confusion, d'emprise et d'abus
"Certaines se sont présentées comme victimes d'une relation abusive, d'autres plutôt comme des partenaires consentantes d'une relation transgressive. Ces relations (...) s'inscrivent toutes dans un continuum de confusion, d'emprise et d'abus", a précisé l'Arche, dans un communiqué distinct. "Emprise, abus sexuels, délire collectif, dévoiement de notions au coeur du christianisme, représentations incestueuses des relations entre Jésus et Marie" ont été les "mécanismes déployés" à la fois par Jean Vanier et Thomas Philippe, résume le rapport.
L'Arche condamne sans réserve
Dans le communiqué, les responsables de L'Arche internationale, Stephan Posner et Stacy Cates Carney, ont exprimé leur "consternation" et condamné "sans réserve, les agissements" des deux hommes. "L'Arche reconnaît sa responsabilité de n'avoir su ni prévenir ces abus, ni les repérer, ni les signaler, et par conséquent, ni les faire cesser", écrit l'association. L'Arche qui n'est pas une structure ecclésiale, annonce avoir décidé "d'adhérer à la Commission reconnaissance et réparation (CRR)", mise en place en 2021 pour les victimes de violences sexuelles commises dans des congrégations religieuses.
Théories et pratiques déviantes
Thomas Philippe et son frère Marie-Dominique Philippe, qui fut aussi dominicain, sont connus de longue date pour leurs "théories et pratiques déviantes", selon les termes de l'Eglise. L'un et l'autre ont fait l'objet de sanctions canoniques émanant de Rome, respectivement en 1956 et 1957. Une autre commission indépendante de plusieurs chercheurs a été mandatée par l'ordre des dominicains pour examiner comment ces deux frères ont pu continuer, malgré des dénonciations et les condamnations du Vatican, à exercer au sein de leur communauté respective. Ses conclusions seront rendues publiques le 3 février 2023, sous forme d'un ouvrage intitulé L'Affaire - Les Dominicains face au scandale des frères Philippe (éditions du Cerf).
"Ce n'est pas que les pouvoirs ecclésiastiques n'ont rien fait", mais "tout au long de leur vie, les frères Philippe sont parvenus à déjouer toutes les tentatives des pouvoirs ecclésiastiques pour les contrôler", a déclaré à l'AFP son auteur, l'historien Tangi Cavalin. "L'institution, à la fois l'ordre (dominicain, ndlr) et aussi à l'extérieur, s'est révélée incapable de prévenir ces abus", a déploré Nicolas Texier, responsable France de l'ordre dominicain.