Par Aurélie Carabin
Après avoir couvert les Jeux paralympiques de Londres, Sotchi, Rio et Pyeongchang pour Radio France, Lætitia Bernard, 38 ans, aurait dû s'envoler pour Tokyo et suivre ses premiers jeux "valides". Mais la pandémie de Covid-19 a eu raison de ce projet. Impossible dans les "conditions actuelles", explique cette journaliste sportive aveugle lors d'un entretien à l'AFP au sein de la maison ronde qui l'emploie depuis quatorze ans.
Un podcast en 6 épisodes
"Je ne vais pas parler aux gens à travers les plexiglas, je mets mes mains partout...", ajoute cette voix connue des auditeurs de France Info et France Inter le week-end, les yeux cachés par des lunettes de soleil. Tant pis pour Tokyo. La sextuple championne de France de saut d'obstacle en équitation handisport a trouvé un autre moyen de travailler sur les JO : un podcast en six épisodes, "Les Sens des Jeux", enregistré en son binaural (en 3D), mis en ligne fin juin 2021. Judo avec la porte-drapeau Clarisse Agbegnenou, para tir sportif avec Tanguy de La Forest... La journaliste s'est initiée à six disciplines au contact de sportifs préparant les Jeux. Objectif? Montrer à l'auditeur, qui comme elle "n'y voit pas", qu'en se concentrant "sur les autres sens, il y a plein de choses super à aller chercher autour du sport et des champions".
Son handicap, "une opportunité journalistique"
Cette démarche illustre "le cap franchi" depuis quelques années par la journaliste avec Radio France, selon son directeur des sports Vincent Rodriguez qui la connait depuis 13 ans. "On ne considère pas son handicap comme un obstacle mais comme une opportunité" journalistique, ajoute-t-il. Outre une série de reportages réalisée en 2019 sur les étapes du Tour de France, en tandem, Lætitia Bernard s'est aussi essayée à la télé cette année pour "Stade 2", lors d'une rencontre avec la cavalière Gwendolen Fer, invitée à monter les yeux bandés. Impossible en revanche de déceler sa cécité à l'écoute du "Quart d'heure", le podcast d'actualité dont elle vient d'assurer la présentation en intérim, ou de l'un de ses journaux en direct. Et ce même si la lecture de ses textes, sur son bloc-notes braille électronique, "n'est pas très fluide", concède celle qui a "l'habitude de l'improvisation" et s'appuie au quotidien sur la synthèse vocale de son ordinateur, "une voix de robot qui lit tout ce qui se passe à l'écran".
Déjouer les pronostics
Dotée d'une "résilience presque innée", selon Vincent Rodriguez, Lætitia Bernard a aussi profité d'une famille "extrêmement aimante" pour déjouer tous les pronostics depuis sa naissance à Gien (Loiret). Elle grandit à Toulouse, où ses parents, professeurs de sport, se font muter pour lui offrir ce qu'il y a de "mieux" pour sa scolarité, qu'elle passera essentiellement en "milieu ordinaire", comme elle le raconte dans son livre "Ma vie est un sport d'équipe" (Radio France/Stock), paru en mai. Elle découvre le piano à 5 ans, puis l'équitation, son "équilibre de vie", huit ans plus tard. En parallèle des compétitions équestres -en pause ces dernières années-, elle obtient son bac L, intègre Sciences Po Strasbourg et passe une année à Berlin (Allemagne).
Banaliser le handicap
Après avoir envisagé de travailler autour du handicap en Europe, elle se tourne vers le journalisme, découvert auprès des nombreux médias intéressés par son parcours. Diplômée du Centre de formation des journalistes, elle entre chez Radio France à l'été 2007 puis décroche un CDI à l'hiver 2009. "Facile à vivre" avec "un caractère en or", selon Baptiste Muckensturm, rédacteur en chef du "Quart d'heure", c'est aussi "la première à faire des blagues", lance Théo, stagiaire, en escortant Lætitia, canne blanche à la main. Riant de l'aspect "anti-aveugle" d'un "compte photo", elle se "la pète" sur Instagram avec ses 1 600 abonnés, plaisante celle qui aimerait voir le handicap "banalisé" dans la société. Parmi ses prochains défis? "Un 10 km" en course à pied.
© Compte Instagram de Lætitia Bernard