Les bienheureux : la vie de 9 familles avec Williams-Beuren

Julien Dufresne-Lamy a rencontré 9 familles touchées par le syndrome Williams-Beuren pour écrire "Les bienheureux", un livre lumineux et authentique sur ces enfants uniques, presque elfiques, qui n'omet pas pour autant les difficultés du quotidien.

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Thomas parle à peine mais reproduit vingt-cinq sons d'animaux. Enzo ne dort jamais, se lève jusqu'à trente fois par nuit. Axelle sort rarement sans ses protections anti-bruit. Il y a aussi Marie, Arthur, Marius, Romain, Svetlana et Maléna. Des êtres uniques. Des êtres « elfiques ». Des « lutins ». Des « bienheureux ». C'est le titre du huitième roman de Julien Dufresne-Lamy (éditions Plon). Un récit littéraire poignant et lumineux sur le syndrome Williams-Beuren, une maladie génétique rare qui touche environ 3 000 Français et se manifeste notamment par un retard psychomoteur et intellectuel, des malformations cardiaques ou encore des caractéristiques physiques et comportementales particulières comme l'hyper sociabilité. Julien Dufresne-Lamy lève le voile sur cette pathologie « mystique » et dévoile les coulisses de cette expérience littéraire immersive de deux ans, la plus longue de sa carrière.

Handicap.fr : Les Bienheureux, pourquoi ce titre ? Selon vous, le fait de vivre avec une maladie rare et invalidante n'est assurément pas incompatible avec le bonheur ?
JDL 
: J'avais rassemblé tout un panel de mots que j'imaginais apparaître dans le titre : enfants sans sommeil, jardin d'enfant... Mais la caractéristique principale de ces jeunes est leur bonheur constant. Cependant, je ne voulais pas renvoyer à l'idée du « bienheureux » un peu simplet, c'est pour cela que je commence le livre par cette définition : « être radieux qui contamine l'autre par sa joie ». Et c'est exactement ce que ces enfants font. J'aurais pu inventer une histoire, un parcours et en faire un parangon (ndlr : un modèle) de joie, un symbole, mais j'ai préféré faire le récit de leur vie, exemplaire, une belle leçon sur ce qu'on a à apprendre du handicap et de la différence.

H.fr : Quelles sont, en quelques mots, les caractéristiques de cette maladie neurodéveloppementale ?
JDL
 : Ce syndrome a été décrit pour la première fois en 1961 par le Dr Williams, cardiologue néo-zélandais, puis en 1964 par le Dr Beuren, cardio-pédiatre allemand. Les premiers tests génétiques ont été effectués en 1993. Les symptômes varient, évidemment, d'un enfant à l'autre. Mais ce syndrome débute bien souvent par une naissance avant terme avec un poids assez léger et une silhouette frêle. La plupart naissent avec une cardiopathie, qui nécessite parfois une opération à cœur ouvert, des hernies ou encore une hypercalcémie (taux élevé de calcium dans le corps) qui entraîne des crises de vomissement et d'hyperactivité. On diagnostique souvent ces enfants par le fait qu'ils ne dorment pas et mangent très peu. Ils ne supportent pas d'avoir une texture solide dans la bouche, nombre d'entre eux ne mangent que des compotes parce que le reste les dégoute. Pour eux, une assiette de pâtes équivaut à une assiette d'insectes. Ce peut également être un véritable chemin de croix pour s'endormir, à l'instar d'Enzo, 5 ans ; ses mères devaient dormir dans un lit gigogne à côté de lui. Ils présentent aussi des déficiences intellectuelles et parfois l'oreille absolue associée à une hyperacousie. Certains entendent un train arriver à la gare 5 km avant, tandis que Thomas, Arthur et Enzo sont capables de reconnaître la marque d'une voiture au bruit de son moteur. Mais cette hypersensibilité au son reste une charge car le moindre sursaut de bruit les fait paniquer, presque imploser. Applaudissements et feux d'artifice, par exemple, les assourdissent et les contraignent à porter des casques anti-bruit.

H.fr : C'est votre premier livre sur le handicap. Pourquoi avoir choisi cette thématique ? Vous a-t-on reproché une vision idéalisée, notamment dans le choix du titre ?
JDL
 : Lors de la rentrée littéraire 2022, sur 500 livres, seuls deux parlaient de handicap. L'idée n'est pas d'idéaliser le monde du handicap, et je ne fais pas l'impasse sur les difficultés que rencontrent les familles et notamment la rigueur administrative. Tout n'est pas mignon et mièvre, il y a une certaine lourdeur mais qui est un peu déchargée par le fait que ces enfants sont en demande de l'autre et que l'on s'adoucit à leur contact. La première fois qu'on m'a parlé d'eux on m'a dit : « Tu verras, ce sont des bulles d'amour ». Ils ont tous quelque chose de rare mais, pour le savoir, il faut les rencontrer.

H.fr : Quel est l'objectif de ce livre ?
JDL 
: Je ne crois pas qu'un livre ait un quelconque objectif… Mon premier projet était de traiter de l'intimité des personnes handicapées mais ça peut vite devenir « casse-gueule » si l'on n'est pas sur une pleine justesse. J'écris souvent sur des sujets « sensibles », pas très présents dans la littérature (sida, prostitution, transidentité...). J'ai toujours eu envie d'écrire sur le handicap mais on me disait souvent que ce n'était pas une thématique « à la mode ». J'ai ressenti beaucoup d'a priori et cette peur d'un sujet trop doloriste ou misérabiliste. Il m'a fallu deux ans de bourgeonnement avant de me décider. Ainsi, l'objectif, s'il y en a un, est de montrer ces enfants tels qu'ils sont, sans les fantasmer. Pour cela, il me fallait être au plus près des familles.

H.fr : Vous dites : « Il y a dans chaque maladie rare le chuchotement d'un roman, le frémissement d'une histoire ». Pourquoi celle-ci en particulier ?
JDL
 : En réalité, j'ai fait en sorte d'universaliser mon propos, ça pourrait être un livre sur n'importe quel enfant, n'importe quel syndrome. Mais celui-ci est plein de mystère, de sensibilité. L'illusion que ces personnes ont du monde s'arrête à l'adolescence. Petits, ils sont très beaux, solaires, charismatiques, on les arrête fréquemment dans la rue. Mais, avec l'âge, les traits du syndrome commencent à s'installer et les regards des autres changent.

H.fr : Comment l'aventure a-t-elle débuté ?
JDL : J'ai d'abord été contacté par
Anne-Laure Thomas, présidente de l'association Autour des Williams, pour animer une conférence en entreprise, et elle m'a parlé de son fils Marius. Elle m'a ensuite demandé d'écrire un conte de noël pour récolter des fonds en faveur de la recherche. Cette maman m'a inspiré. Elle a monté une association à 28 ans, frappée par le fait que personne ne parle de cette maladie ou, comme les médecins, en des termes bruts et archaïques : « Votre enfant a ce syndrome mais personne ne doit savoir ». Ce qui m'intéressait, c'était aussi d'écrire sur ces aidants et de rendre hommage à ces mères qui, bien souvent, portent un peu la voute du ciel, sacrifient leur carrière, leurs finances, leur vie sociale...

H.fr : L'imaginaire, un monde presque féérique, semble très présent dans ce roman. Est-ce un moyen d'échapper à cette réalité peu tolérante et insuffisamment adaptée ?
JDL
 : C'est ce que l'on retient de la quatrième de couverture mais je n'en fais pas un point d'orgue de ce récit. J'en parle parce que cet imaginaire entoure le syndrome de façon assez énigmatique mais seul le chapitre « Comme un conte » s'y attarde.

H.fr : Vous comparez ces enfants à « des êtres elfiques ». Qu'ont-ils de semblables ?
JDL 
: Le rapport à la nature, aux autres, à la musique, au bricolage... Ce n'est pas une invention de ma part, ils ont inspiré, selon la littérature scientifique, la légende des elfes et des lutins. Ils ont notamment des similitudes physiques : très petits, avec un visage de lutin, l'iris étoilé, de grandes bouches avec des dents très espacées... D'ailleurs, c'est étonnant parce qu'ils ont presque tous le même visage, on a l'impression qu'ils sont frères et sœurs.

H.fr : En immersion dans neuf familles, qu'est-ce qui vous a le plus frappé ?
JDL 
: J'ai été frappé par chaque famille, chaque confidence et, j'insiste, particulièrement par le rôle des mères qui ont eu la gentillesse de me faire une place dans leur agenda de ministre, à l'instar de Gaëlle, maman d'Axelle, 11 ans. Je ne pouvais la rencontrer que lorsqu'elle attendait sa fille durant ses rendez-vous médicaux. Consultant une dizaine de praticiens (psychomotricien, dentiste, psychologique...) par semaine, tout est réglé comme du papier à musique. Pas de place pour l'imprévu. Pour ces parents, la gestion du temps est un véritable parcours du combattant. Un temps volé, dédié au handicap, qui ne reviendra plus... Se pose alors une question presque philosophique : à quel moment accepte-t-on le handicap de son enfant ? Certaines ont mis dix ans.

H.fr : En quoi les associations sont-elles indispensables pour accompagner ces familles ?
JDL
 : Les associations comme Autour des Williams sont une béquille, une seconde famille, où les membres prennent des nouvelles les uns des autres. Cette asso organise chaque année un grand week-end qui permet de créer un lien, de se décharger, de souffler et de trouver une forme de solidarité.

H.fr : Un autre livre sur le handicap dans les tuyaux ?
JDL
 : Ce n'est pas prévu pour le moment. Ecrire un livre, c'est faire un voyage, découvrir un nouveau pays, un nouveau continent. Aujourd'hui, j'ai envie de faire un voyage différent. Mon prochain roman retracera deux histoires vraies sur les identités en marge en Corée du Sud : les écoles de K-pop (un style musical très populaire dans ce pays) et une femme qui est restée enfermée dans son appartement durant quinze ans. Je me rendrai dans le « pays du matin calme » au printemps 2023. En attendant, j'apprends la langue depuis deux ans. 곧 뵙겠습니다 (à bientôt, en français) !

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Cassandre Rogeret, journaliste Handicap.fr"
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