« Il n'y a pas une journée où, moi, individu de 53 ans en fauteuil roulant, je ne suis pas victime de discriminations, qu'elles soient positives ou négatives, où ma différence n'est pas perçue comme normale, banale », confie Michaël Jérémiasz, ex-champion paralympique et président de l'association Comme les autres. Malgré les obligations inscrites dans la loi du 11 février 2005, son quotidien est pourtant bien loin d'être... comme les autres.
Un bilan de 160 pages sur l'accessibilité de la société
Les promesses et attentes étaient nombreuses, lors de sa publication, qu'en est-il vingt ans plus tard ? « La loi pour l'égalité des droits et des chances (...) a été détricotée par des lois postérieures. Son application est loin d'être suffisante », estime Arnaud de Broca, président du Collectif handicaps, qui organisait, le 14 janvier 2025, un colloque pour présenter son bilan sur la loi de 2005. Le collectif, qui regroupe 54 associations, a balayé tous les champs de la vie quotidienne autour de quatre axes : participer à la vie en société, vivre dignement selon ses choix, bénéficier de services publics de proximité et de qualité et avoir une réponse adaptée à ses besoins. Résultat : un document de 160 pages qui présente, pour chacune des 18 thématiques abordées, des repères, des constats et des propositions.
La construction d'une « grande loi de la République »
Pour commencer, il plante le décor. Deux ans de travaux préparatoires, un an de débat parlementaire et l'intervention du président de la République avaient été nécessaires pour aboutir à cette loi. « Un gouvernement à l'écoute et des parlementaires mobilisés avaient permis de co-construire, avec les associations, ce texte autour de deux axes principaux : la compensation du handicap et l'accessibilité universelle. Ce processus, que l'on n'a retrouvé pour aucune autre loi depuis, en fait sans nul doute l'une des grandes lois de la République », admet le Collectif handicaps. Et pourtant...
L'accessibilité universelle, une chimère ?
« Si la situation s'est certainement améliorée depuis 2005, et davantage encore depuis 1975, beaucoup reste à faire… », constate-t-il. L'accessibilité universelle (éducation, emploi, cadre bâti, logement, transports…) « n'est toujours pas une réalité, le droit à la compensation reste largement ineffectif et les Maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) sont devenues des machines administratives dans lesquelles le rôle des associations est réduit, entravant parfois les parcours et ne prenant pas en compte suffisamment les projets de vie des personnes », résume le collectif.
ERP non accessibles : place aux sanctions !
« Concernant l'accessibilité, on est allé au bout de l'incitation, le temps des sanctions est arrivé ! », affirme Arnaud de Broca, qui consent ne pas avoir réfléchi dans le détail à la nature de ces sanctions. En effet, 10 ans après la mise en place des agendas d'accessibilité programmée (Ad'ap), qui octroyaient des délais supplémentaires pour rendre accessibles les établissements recevant du public (ERP), seule la moitié est aux normes (Fin des Ad'Ap : sanctions exigées pour les ERP inaccessibles). Et que dire de l'accessibilité des sites Internet publics (L'accessibilité totale des sites publics reportée à... 2027) et des communications des candidats aux élections politiques... « Les discriminations subies au quotidien doivent cesser, nous ne demandons pas de traitement de faveur mais le respect de nos droits fondamentaux, pas plus pas moins, pour pouvoir se déplacer, se soigner, aller au sport ou au musée, effectuer nos démarches administratives... Pourquoi cela relève-t-il encore d'un parcours du combattant ? », s'impatiente Pascale Ribes, présidente d'APF France handicap.
La 5e branche autonomie, une « coquille vide »
« Garantir les droits des personnes handicapées n'est pas un idéal à atteindre, c'est un devoir », rappelle Luc Gateau, président de l'Unapei et vice-président de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA). Selon lui, la cinquième branche de la Sécurité sociale dédiée à l'autonomie aurait dû y contribuer mais, « faute de moyens, elle reste une coquille vide ». « La politique de l'autonomie ne peut plus se résumer à un empilement de mesures sans vision claire, elle doit devenir une priorité nationale portée de manière interministérielle », exhorte-t-il, appelant à une « 5e branche forte » avec des financements pluriannuels, sur tout le territoire, à hauteur de 10 à 12 milliards d'euros.
200 propositions, 20 priorités
Ces revendications font partie des 20 « priorités » du collectif, qui formule au total 200 propositions, dont la plupart ne relève pas de modifications législatives mais réglementaires, « d'évolutions des pratiques ou de moyens financiers à allouer et donc de volonté politique ». Autres réclamations majeures : la création d'un revenu minimum d'existence au moins égal au seuil de pauvreté ; l'abrogation de l'article 64 de la loi Elan ou des barrières liées à l'âge pour la compensation du handicap (mesure prévue dans la loi de 2005 mais non appliquée) ; le lancement d'un plan de formation des professionnels des ministères de la Justice, de l'Intérieur et des Armées, pour améliorer l'accueil et l'accompagnement des personnes en situation de handicap, notamment dans le cadre des violences intrafamiliales, sexistes et sexuelles et du recueil de leur parole ; ou encore la mise en place d'un véritable plan de lutte contre les licenciements pour inaptitude.
Pas de nouvelle loi, une mise en application des droits !
Contrairement au Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH), le Collectif handicaps ne prône pas la création d'une nouvelle loi (Nouvelle "loi handicap" 2025 : faites vos propositions!). « Ne nous trompons pas de débat. Certes, des ajustements législatifs seront nécessaires, soit pour aller plus loin que le législateur en 2005, soit pour renforcer la solidarité nationale ou, enfin, pour corriger des 'retours en arrière' votés après 2005. Mais la question n'est pas tant d'ouvrir de nouveaux travaux pour adopter, au mieux, d'ici plusieurs mois, une nouvelle grande loi modifiant structurellement la politique du handicap », estime-t-il, appelant à se concentrer sur la concrétisation des promesses. « Rendre effectifs les droits, c'est avant tout se donner les moyens humains et financiers de les appliquer, c'est lutter contre les non-recours, former les professionnels qui doivent être en nombre suffisants... », ajoute-t-il.
Rassemblement citoyen le 10 février 2025 à Paris
Pour ce faire, selon le collectif, il faut mobiliser l'ensemble de la société. Il appelle à un rassemblement citoyen le 10 février 2025, à partir de 17h, place de la République, à Paris, pour « faire bouger la République ». « C'est un évènement festif, on ne veut pas juste se plaindre que les gens ne nous aiment pas, que la vie est dure, l'idée est aussi de se rassembler (personnes handicapées, familles, associations, aidants, aimants...) », souligne Michaël Jérémiasz. Mais l'objectif est aussi de « mettre la pression » au gouvernement. « C'est le début d'une année ou d'années de mobilisations, qui prendront de plus en plus d'ampleur si l'État n'agit pas, prévient-t-il. Aucune minorité avant nous n'a obtenu gain de cause sans frapper fort (...), et nous n'avons plus le temps d'attendre encore une, deux ou trois générations pour que les personnes handicapées aient les mêmes droits que les valides », insiste-t-il. « Chaque mois perdu sans agir, ce sont des millions de Français qui continuent d'être exclues, marginalisées et discriminées. »
Un CIH dans les prochains mois ?
Message reçu ? Quelques heures plus tard, le Premier ministre François Bayrou, dans sa déclaration de politique générale, appelait à « poursuivre la mobilisation de l'ensemble du gouvernement autour de la politique du handicap » et à réunir « dans les meilleurs délais » un Comité interministériel du handicap. Le Collectif handicaps espère que ce CIH sera « plus moteur que les précédents ».
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