Croizon : 10 ans loi handicap de 2005, ce n'est pas la fête!

A l'occasion des 10 ans de la loi handicap de 2005, Philippe Croizon, dans sa rubrique du 23 février du Magazine de la santé (France 5), dresse dans un bilan pas vraiment rose. Comment impulser une vraie dynamique dans ce domaine ?

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Le 11 février 2015, c'était un anniversaire pour les personnes handicapées. Vous avez fait la fête ?
En réalité pas vraiment car cet anniversaire c'était celui des 10 ans de la loi handicap votée en 2005 qui visait « l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées ». Un chiffre tout rond mais, pour les personnes concernées, le compte n'est pas bon. Alors, il y a quelques jours, les associations sont descendues dans la rue mais ce n'était pas pour lancer des cotillons.

10 ans après, les personnes handicapées sont mécontentes ? Rien n'a donc changé ?
Bon alors je vais essayer d'être bref car il y a vraiment beaucoup à dire sur le sujet. On ne peut évidemment pas dire cela. Il y a des tas de choses qui ont été mises en place, d'un point de vue pratique mais aussi dans les mentalités. Il est important de revendiquer mais je trouve qu'il est également important de reconnaître ce qui a été fait. La personne handicapée devient de plus en plus visible, les médias en parlent. On voit même des mannequins amputées défiler pour de grands couturiers. Ce n'est pas si anecdotique que cela ; c'est le reflet d'une ouverture manifeste à la différence. Alors ça avance, ça avance, gentiment ! Mais trop doucement pour les personnes concernées et on peut les comprendre.

Lors de la Conférence nationale du handicap qui a eu lieu en décembre à l'Elysée, François Hollande a évoqué une campagne nationale ?
Oui, une grande campagne de sensibilisation, pour enfoncer le clou un peu plus profond et tenter d'ouvrir les esprits. Elle est prévue en 2015. A voir…

Mais on ne peut pas révolutionner un pays en dix ans.
C'est ce que disent ceux qui vivent cela comme une contrainte : les entreprises qui doivent embaucher au moins 6% de personnes handicapées ou les établissements qui reçoivent du public à qui on demande de faire des aménagements pour être accessibles à tous les handicaps. Mais il y a tout de même un peu de mauvaise foi dans ce discours car la première loi handicap date de 1975, approfondie en 1987. Alors 40 ans pour se mettre aux normes, ce n'était quand même pas trop abuser !

Mais si on se montre indulgent et que l'on prend 2005 comme année zéro…
Alors là il faut bien se douter que 10 ans pour rendre la France accessible c'était « mission impossible ». Tous les établissements auraient dû l'être au 1er janvier 2015. Mais, évidemment, c'est loin d'être le cas. On estime aujourd'hui que seulement 15% le sont, dans le privé comme dans le public. Pour faire simple, le Gouvernement actuel qui, il faut bien l'avouer, a hérité d'une situation assez catastrophique, a décidé de rallonger les délais de 3 à 9 ans, notamment pour les transports ferroviaires. Ça fait 19 ans à attendre ! Il faut donc se rendre compte qu'à l'échelle d'une vie d'homme, c'est un siècle. Les lois, les mentalités et les individus n'avancent malheureusement pas au même tempo.

Mais y a-t-il une autre option ?
C'est compliqué car, de toute façon, on est au pied du mur. Alors, comme le dit le président d'une grosse association, l'Apajh, on fait quoi maintenant si on renonce à ces nouvelles échéances ? On revient à la loi de 2005 et donc nulle part, avec pour seule option d'encourager chaque citoyen qui se sent lésé dans son accessibilité à saisir la justice ? Vous allez mettre votre coiffeur, votre boulanger, votre médecin au tribunal ? Les tribunaux saturés par des dizaines de milliers de plaintes, ça vous parait constructif ?

Quelles seraient donc les priorités à mettre en œuvre ?
J'en citerai 4.
Tout d'abord l'accès à l'école des enfants handicapés.
Et, au-delà, évidemment aux études supérieures. Des progrès réels ont été réalisés, on ne peut pas le nier, puisqu'on a doublé le nombre d'élèves handicapés scolarisés en 8 ans. Ils sont aujourd'hui 260 000. Mais il reste encore trop d'enfants sans solution. Et puis surtout des enseignants et des accompagnants sans formation qui se disent parfois démunis.

Deuxièmement, l'emploi des personnes handicapées.
Oui, les chiffres parlent d'eux-mêmes. 20% sont au chômage, soit le double de la population active. Et ce malgré trois lois, que les entreprises jugent trop contraignantes. On voit le résultat, même si certaines d'entre elles se bougent vraiment et ont largement dépassé les quotas !

Troisièmement, il y a la question des ressources…
Puisqu'ils n'ont pas eu accès à l'école, à la formation donc à l'emploi, en France, des dizaines de milliers de personnes handicapées vivent sous le seuil de pauvreté, leur pouvoir d'achat diminuant du fait de la crise sociale et économique. Et puis la couverture des besoins en matière de compensation, c'est-à-dire le matériel et les soins qui permettent d'alléger le handicap, reste toujours trop insuffisante.

Enfin, rendre accessible le plus grand nombre de lieux publics.
Sans oublier les services comme internet et les transports. A tous les handicaps, évidemment.

Pour toutes ces raisons, le 11 février 2015, les personnes concernées se sont mobilisées pour exprimer leur colère et leur désarroi.
Oui, les manifestants ont défilé devant l'Assemblée nationale pour tenter de faire entendre raison aux députés. Ils étaient présents dans une trentaine de villes de France à l'appel d'un collectif. Car les associations de personnes handicapées, qui sont parfois en rivalité, ont décidé d'enterrer la hache de guerre pour unir leur force. 70 associations au total ! Mais ce qui est intéressant, c'est que, dans ce collectif, on trouve aussi des personnes âgées, des usagers des transports, des piétons et même des cyclistes. Tous unis sous la même bannière : une meilleure mobilité pour tous. Mais, au-delà, une plus grande inclusion car il ne s'agit pas seulement de se déplacer mais aussi de travailler, de se soigner, de se divertir…

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Emmanuelle Dal'Secco, journaliste Handicap.fr"
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