En France, l'accessibilité reste un défi colossal : 560 000 établissements recevant du public (ERP) ne sont toujours pas adaptés aux personnes en situation de handicap (Tourisme : la France "pas au rendez-vous" de l'accessibilité). Mais sur les hauteurs de Gigondas, dans le Vaucluse, un domaine prouve qu'un autre modèle est possible...
3 gîtes labellisés « Tourisme et Handicap »
Le Mas de Lencieu, un ancien mas viticole du XVIIe siècle, mêle patrimoine et innovation afin d'offrir à ses visiteurs « une expérience de ressourcement unique, accessible à tous sans compromis ». Avec cinq gîtes rénovés, dont trois labellisés « Tourisme et Handicap », ce lieu d'exception ne se contente pas de répondre aux normes : il redéfinit les standards de l'accueil pour tous, en combinant authenticité, inclusion et écologie.
De fidèles clients à propriétaires
Aux manettes ? Deux amoureux de la région, Christine et Jean-Pascal Michaud, qui ont eu un coup de foudre pour le Mas lors d'un séjour en 2012. Immédiatement conquis par ce site niché entre vignes et montagnes, ils reviennent chaque année et se lient d'amitié avec les propriétaires. Lorsque ces derniers partent à la retraite en 2022, le couple décide de prendre la relève. « Nous ne pensions pas du tout à un tel projet, d'autant plus que Christine venait de prendre une retraite anticipée, mais c'était l'occasion de relever un beau défi parfaitement en accord avec nos valeurs », confie-t-il.
Authenticité, accessibilité et durabilité !
Soucieux de pouvoir accueillir tous les vacanciers, leurs prédécesseurs avaient déjà effectué de nombreuses adaptations, notamment pour les personnes à mobilité réduite (PMR). « Réaliser et exploiter un lieu accessible en France était leur projet de vie. » Conscients des obstacles rencontrés par ces visiteurs à besoins spécifiques, après avoir travaillé auprès d'eux plusieurs années durant, Christine et Jean-Pascal veulent aller encore plus loin. Ils rêvent d'un « tourisme où les barrières, qu'elles soient physiques ou sociales, disparaissent au profit d'un partage sincère et d'une valorisation du patrimoine local ».
Forts de leur expérience dans l'entrepreneuriat social et l'hôtellerie, ils rénovent et modernisent le Mas avec soin et obtiennent, en 2024, la certification « Tourisme et Handicap », qui garantit une accessibilité sans faille et un confort optimal aux visiteurs avec un handicap physique, mental et auditif. Leur mission ? Démontrer « qu'authenticité, accessibilité et durabilité peuvent coexister ».
Des aménagements certifiés
Ainsi, les trois gîtes accessibles comprennent des cheminements inclinés pour fauteuils roulants, avec paliers de repos ; des portes larges qui permettent le passage aisé d'un fauteuil roulant ; des salles de bains spacieuses, équipées de douches à l'italienne, de poignées et de sièges de douche ; une hauteur de lit standardisée (49 centimètres) pour faciliter les déplacements ; des équipements supplémentaires disponibles sur demande, comme un lève-personne ou un lit électrique ; une alarme incendie avec flash lumineux pour les personnes malentendantes. Des installations qui profitent également aux personnes âgées. « Nous avons également rédiger un livret d'accueil en Facile à lire et à comprendre (FALC) pour les visiteurs avec une déficience intellectuelle, ajoutent les propriétaires. Chaque détail a été pensé pour permettre à chacun de profiter du lieu sans restriction. »
Favoriser le vivre-ensemble
Ces aménagements attirent particulièrement les personnes à mobilité réduite qui constituent 20 % de la clientèle du Mas. « Nous souhaitons voir ce chiffre augmenter, sans devenir une exclusivité, expliquent les propriétaires. Il nous importe de favoriser les rencontres entre personnes valides et en situation de handicap. Parfois, les premiers contacts sont hésitants, mais cela débouche rapidement sur de belles rencontres. Et les gens reviennent… » Le domaine comprend, à ce titre, des espaces communs pensés pour favoriser le partage : une grande cuisine, un salon avec cheminée, une cour privative et une salle polyvalente. Ces lieux accueillent des activités collectives, telles que du yoga, des ateliers créatifs ou des rencontres entre hôtes.
Tous les éléments sont réunis pour « un vivre-ensemble harmonieux ! », témoigne l'association La Boussole, qui accompagne notamment des personnes en situation de handicap et effectue régulièrement le déplacement depuis Embrun, dans les Hautes-Alpes, pour profiter de ce « havre de paix ». « L'endroit est parfaitement adapté, on peut aller où bon nous semble. Les propriétaires savent déplacer les meubles pour accueillir les lits médicalisés, les lève-personnes… », ajoute-t-elle.
Pourquoi l'accessibilité reste une exception ?
Ce domaine pose alors une question essentielle : pourquoi, en 2025, l'accessibilité reste-t-elle une exception plus qu'une norme dans le secteur du tourisme ? « Mettre à disposition des logements adaptés n'est pas si simple qu'il n'y parait, concèdent les gérants. Les portes à ressort sont infranchissables, un seuil de trois centimètres est rédhibitoire pour un fauteuil électrique, les tapis sont aussi un obstacle et les salles de bain doivent être conçues dès la construction, au vu des espaces nécessaires. Sinon les modifications sont coûteuses. Il faut aussi trouver des solutions qui ne stigmatisent pas un logement, ce qui n'est pas toujours possible. Et cela ne concerne pas seulement le secteur du tourisme. » Ils incitent toutefois à distinguer les exigences à remplir pour répondre aux normes strictes du label Tourisme et Handicap des adaptations simples qui facilitent l'accessibilité.
Des aménagements respectueux du patrimoine
« De nombreuses améliorations sont possibles sans dénaturer le patrimoine », poursuivent-ils, encourageant ainsi les gérants d'ERP qui refusent la mise en accessibilité de bâtiments historiques. « Les aménagements réalisés au Mas de Lencieu ont, certes, changé l'aspect de la cour intérieure (dallée aujourd'hui, sans escaliers), de même qu'un labyrinthe a dû être créé pour permettre l'accès aux terrasses supérieures, les chaises longues comme les lits ont été choisis pour permettre un transfert à hauteur, les passages sous les éviers libérés, les miroirs abaissés ou agrandis... mais tout cela ne porte pas atteinte au lieu. » Et de clamer : « De quel droit peut-on limiter l'accès au patrimoine historique aux seules personnes valides ? »
Une journée dans la peau d'une personne en fauteuil
Si de nombreux sites demeurent inaccessibles, c'est aussi en raison d'une méconnaissance du handicap, estiment les Michaud. « La meilleure expérience à faire pour comprendre les problèmes que rencontrent, par exemple, les personnes à mobilité réduite est de s'installer quelques heures dans un fauteuil roulant puis se déplacer dans l'espace public, aller dans un restaurant, trouver des WC accessibles, faire des achats dans une grande surface, franchir des chicanes, entrer et sortir d'un ascenseur, retirer de l'argent au distributeur… », exhortent Christine et son mari. « Les difficultés à franchir les obstacles, l'effort physique que cela implique, le constat des impossibilités, sans compter le regard des autres… Une telle expérience change notre perception du droit des personnes handicapées à de meilleures conditions d'accessibilité », assurent-ils.
© Bruno Preschesmisky