Mieux aider les agriculteurs pour lever le tabou du handicap

Après un accident de moto qui lui a laissé de grosses séquelles, Julien Beal a cru voir s'envoler son rêve de reprendre un jour la ferme familiale. Mais la reconnaissance de son handicap et des aménagements lui ont permis de retrouver son cheptel.

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Par Céline Castella

Au lendemain de son accident, en mars 2021, les médecins, pessimistes, redoutent que Julien Beal, alors âgé de 25 ans, ne puisse plus marcher. Il retrouve finalement l'usage de ses jambes mais, malgré une opération, se déplace avec peine : "Je n'arrivais plus à porter une assiette, ni à faire plus de 25 mètres", raconte l'éleveur à la barbe châtain, qui a suivi plus de 80 séances de rééducation.

Une démarche assez rare

Lui qui s'apprêtait à reprendre l'exploitation familiale -un élevage de vaches à lait de 130 montbéliardes à Montfaucon-en-Velay- (Haute-Loire) pense sérieusement tout arrêter. Pour faire reconnaître son handicap, le jeune homme se tourne vers la MSA (Mutuelle sociale agricole), qui mandate un cabinet d'ergonomes via l'Agefiph et Cap Emploi. Une démarche assez rare puisque les exploitants agricoles représentent seulement 2 % des personnes reconnues handicapées (2 % également des non handicapés), pour 31 % d'ouvriers (20 % des non handicapés), selon les chiffres de la Dares (services statistiques du ministère du Travail).

Des aménagements et des aides adaptés

Chez les Beal, une nouvelle salle de traite a été construite, béton recouvert de tapis plus confortables pour la marche. Le quai est installé à hauteur de l'éleveur et les faisceaux de traite allégés de 2,9 à 1,2 kg. Une barrière télécommandée permet de pousser automatiquement les vaches : "plus besoin de monter et descendre pour les amener une par une", explique le jeune éleveur. Les bidons de 25 kg pour transporter le lait des mères jusqu'aux petits veaux ont été remplacés par un chariot robotisé. Reste un point à améliorer : le tracteur, où l'agriculteur peut passer "jusqu'à 12 heures par jour". Les secousses ont déplacé les broches fixées dans le dos du jeune homme, qui a dû les faire enlever, puis acquérir un véhicule adapté, avec un siège sur suspension pneumatique. Les aides financières de l'Agefiph ont représenté 21 131 euros soit 28 % du coût total de l'investissement avec une participation au financement d'une quinzaine de matériels.

Une question difficile à aborder…

Le jeune éleveur peut à nouveau envisager sereinement de prendre le relais à la retraite de son père, dans quatre ans. Pour autant, la question du handicap n'est pas facile à aborder dans ce milieu : "Ce n'est pas très bien vu, certains ont l'impression que l'on cherche à se payer du nouveau matériel. C'est comme si on remplace sa voiture par une voiture haut de gamme pour une question de confort, alors que c'est quand même notre outil de travail", dit-il. "C'est un métier où la force physique est valorisée et ce n'est pas facile d'accepter d'être diminué par le handicap, il y a aussi la peur de passer pour un fainéant", témoigne Jean-Pierre Ruols, médecin du travail à la MSA Auvergne.

Les chiffres sont parlants : le nombre de bénéficiaires de l'AAH (Allocation adulte handicapé) fin 2022 au régime agricole était de 36 432 sur plus de cinq millions de bénéficiaires, selon la MSA. Le profil type est l'éleveur de 50-55 ans, avec des problèmes de dos ou des membres supérieurs en raison des ports de charges et des postures, détaille le docteur Ruols. Et quand le handicap va de pair avec des problèmes financiers, certains n'ont pas forcément les moyens de payer ce qui reste à leur charge, comme dans certaines petites exploitations du Massif central.

… mais de plus en plus reconnue

"On a effectivement cette image de l'agriculteur taiseux qui travaille malgré les difficultés. Elle est encore présente, mais cela tend à s'atténuer. Comme pour le recours aux prestations sociales, certains osent plus facilement franchir le pas", explique Emmanuel Rioux, sous-directeur en charge de l'action sociale à la MSA Auvergne. S'il reste souvent tabou, le handicap est de plus en plus reconnu, confirme le docteur Ruols : "je gère plus de dossiers qu'il y a trente ans. Quand nous faisons des aménagements, il y a un phénomène de bouche à oreille. Et les générations changent".

© Photo d'illustration générale

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