Par Isabelle Tourné
"En pleine crise, il m'était impossible de sortir, je restais alitée des heures durant. Ma vie sociale était alors complète à l'arrêt, tout comme ma vie scolaire", témoigne Maïwenn Colléaux, 18 ans, qui souffre de migraine depuis l'âge de 14-15 ans, comme sa mère et son grand-père avant elle. Selon les études internationales, 5 à 15 % des enfants sont touchés par cette maladie chronique encore mal diagnostiquée...
Un handicap invisible minimisé ?
"Forcément, on se sent différente des autres élèves qui ne comprenaient pas bien ma souffrance et pour qui j'avais un simple mal de tête", relate la jeune femme pointant les préjugés spécifiques aux handicaps invisibles. Mais, le danger, c'est que "parfois, on en vient même à se dire qu'ils ont raison, qu'on exagère peut-être. Alors on minimise", poursuit-elle. Les douleurs quotidiennes, le manque de prise en charge, les réflexions des professeurs, les brimades de ses camarades l'ont conduite petit à petit à l'isolement puis à la dépression, a confié la jeune femme le 8 septembre 2022 lors d'une conférence de presse organisée par l'association La voix des migraineux.
Les jeunes femmes plus touchées
Ce sujet "majeur" sera à l'ordre du jour du Sommet francophone de la migraine, 100 % digital, le 17 septembre 2022 (inscription gratuite via le lien ci-dessous). "Mal connue, peu enseignée dans le monde médical, la migraine des enfants concerne, avant la puberté, autant de petits garçons que de petites filles", explique Anne Donnet, neurologue, cheffe de service du Centre d'évaluation et de traitement de la douleur à l'hôpital de la Timone, à Marseille. C'est à partir des premiers cycles menstruels que la fréquence des migraines devient plus importante chez les filles. Son diagnostic et sa prise en charge s'avèrent plus compliqués encore que pour les adultes car les symptômes passent souvent pour de simples troubles digestifs. Les vomissements et douleurs abdominales sont en effet fréquents alors que les symptômes typiques de la céphalée sont parfois absents ou discrets.
Des maux de tête... mais pas seulement !
"C'est parce que j'étais moi-même migraineuse que j'ai pu diagnostiquer la maladie de ma fille", indique Karine Colléaux, la mère de Maïwenn. "Chez les enfants, la migraine se traduit souvent par une pâleur et des maux de ventre", poursuit-elle. La présentation clinique est également très différente selon l'âge. "Les adultes font état de céphalées unilatérales et les enfants bilatérales, localisées au niveau bifrontal, sans pulsatilité", précise le Dr Anne Donnet. De même, les crises sont plus courtes que chez les adultes. "Raison pour laquelle de nombreux enfants ne sont pas pris au sérieux car ils se plient en quatre puis, deux heures après, ils gambadent", ajoute-t-elle. "Ils sont souvent traités de simulateurs car, dans l'esprit des gens, le mal de ventre n'est pas associé à la migraine", déplore Sabine Debremaeker, présidente de l'association La voix des migraineux.
La migraine de l'enfant est pourtant aussi handicapante que celle de l'adulte : 50% ont plus d'une crise par mois et 78% présentent une intensité de crise modérée à sévère, 40 % ont des nausées ou des vomissements, 33% des douleurs abdominales. A l'adolescence, les symptômes se rapprochent de ceux de l'adulte : crises plus longues aggravées par l'activité physique. "La majorité de nos patients arrivent vers dix ans mais les maux de tête ont souvent commencé avant", explique Justine Avez-Couturier, pédiatre en neurologie au CHU de Lille. Bien souvent, les crises ont un impact sur leur scolarité avec un absentéisme régulier mais aussi sur leurs activités extrascolaires, d'où la nécessité d'établir un diagnostic.
Une bonne hygiène de vie de rigueur
Une consultation auprès d'un pédiatre ou neuropédiatre s'impose dès lors que les crises sont fréquentes. Celui-ci confirmera, le cas échéant, le diagnostic et prescrira les traitements de crise et de fond, si nécessaire. "Mais les médecins généralistes, en première ligne, constituent un lien indispensable et doivent pouvoir répondre au besoin de prise en charge des patients", affirme La voix des migraineux. Sont généralement prescrits du paracétamol, des anti-inflammatoires ou des traitements de crise spécifiques (des triptans, dont l'autorisation de mise sur le marché en France est à partir de 12 ans).
"On ne peut pas éradiquer la migraine mais on peut en diminuer la fréquence et l'intensité", souligne-t-elle. Une bonne hygiène de vie (alimentation, sommeil, activité physique) est ainsi "particulièrement cruciale pour des enfants et adolescents migraineux", recommande la neuropédiatre. "Un sommeil très réparateur d'une heure permet parfois de faire passer la crise", observe le Dr Anne Donnet. Côté traitements, sont généralement prescrits du paracétamol, des anti-inflammatoires ou des traitements de crise spécifiques (des triptans, dont l'autorisation de mise sur le marché en France est à partir de 12 ans). "Noter les crises sur un agenda pour repérer ce qui les déclenche peut, dans certains cas, aider à mieux les gérer", conseille le Dr Justine Avez-Couturier. Par ailleurs, des essais cliniques sur des anticorps anti-CGRP (des produits biologiques et non chimiques "prometteurs") et les gépants sont en cours.
Stress et fatigue : 2 facteurs aggravants
Si de nombreux facteurs peuvent provoquer une migraine, le stress et la fatigue sont souvent repérés par les patients. Résistante aux médicaments, Maïwenn Colléaux a, pour sa part, "tout essayé" : auto-hypnose, hypnothérapie, équithérapie, EMDR... "Ces méthodes m'apaisent sur le moment mais ne fonctionnent pas sur le long terme. Alors, aujourd'hui, quand je suis en crise, je ne prends rien, j'attends que ça passe...", confie-t-elle. "Mais un enfant migraineux ne sera pas forcément un adulte migraineux, rassure le Dr Donnet. 'Seuls' 41 % constatent la persistance de la migraine à l'âge adulte. Certains enfants passeront d'une céphalée migraineuse à des maux de tête moins sévères."