Vaste débat autour du film Music, sorti aux Etats-Unis le 12 février 2021 en streaming sur la plateforme Apple TV+ (à retrouver en France dès le 29 mars). Certaines personnes issues de la communauté autiste reprochent à sa réalisatrice, la chanteuse australienne Sia, d'avoir choisi, pour incarner le rôle d'une jeune fille autiste, l'actrice Maddie Ziegler qui n'est pas concernée par ce trouble et de propager une image stéréotypée via un personnage autiste « non verbal ». Les nombreuses excuses de la réalisatrice sur les réseaux sociaux, précisant malgré tout que ce n'était pas un documentaire mais une fiction, n'ont pas réussi à apaiser la colère de ses détracteurs. En France, l'association Vaincre l'autisme prend pourtant position en faveur de Sia, invoquant la liberté d'expression liée à toute œuvre culturelle. Un article complet en lien ci-dessous revient sur cette polémique en détails mais, pour aller plus loin sur la place des acteurs en situation de handicap dans le 7ème art, cinq questions à Pascal Parsat, expert culture et handicap pour Audiens.
Handicap.fr : Cette polémique vous surprend-elle ?
Pascal Parsat : Non, pas vraiment. Nous avons déjà connu cela en France en 2015 lorsque la Comédie française a monté Les enfants du silence avec des comédiens non sourds (article en lien ci-dessous) ou avec la série Caïn qui n'avait pas choisi un acteur paraplégique. En 2007, j'ai adapté, produit avec le CRTH (Centre recherche théâtre handicap) que j'ai fondé, Vol de nuit, d'après le roman d'Antoine de Saint-Exupéry. Une des actrices se levait, à la fin de la représentation, de son fauteuil pour saluer. Elle marche ? Donc, la polémique n'est pas nouvelle et suscite des débats passionnés… Ma connaissance des réalités professionnelles m'amène souvent à en faire état auprès de ceux qui connaissent avant tout les injustices faites aux personnes handicapées.
H.fr : Faut-il qu'un personnage autiste soit forcément joué par un acteur autiste ou un sourd par un sourd ?
PP : Si je fais un film sur un serial killer, dois-je aller faire mon casting en prison ? Si un acteur doit jouer une personne souffrant d'un cancer, faut-il vraiment qu'il en soit atteint ? Le producteur de cinéma Dominique Besnehard m'a dit un jour : « Pour jouer un homo, mieux vaut un hétéro, c'est bien plus intéressant ». On ne joue bien que ce qu'on n'est pas. Ce qui est essentiel, c'est que l'acteur soit au plus près de la vérité mais il ne doit pas pour autant nécessairement l'incarner dans sa vie de tous les jours. Lors du tournage de Caïn, l'acteur Bruno Debrandt, valide, était coaché par un comédien paraplégique, Fabrice Malaval. Ce dernier a déclaré que s'il avait dû tourner quinze fois une scène de chute, il aurait fini à l'hôpital.
H.fr : Est-il difficile de trouver des comédiens en situation de handicap ?
PP : Il faut bien avouer que les comédiens avec un handicap « visible » sont rares et, souvent, ne répondent qu'aux offres où le personnage a les mêmes problématiques qu'eux. L'optimisme est de mise. Le nombre de praticiens avec un handicap qui se forment aujourd'hui augmente, ce qui laisse à penser que, demain, ils seront plus nombreux. Or être handicapé ne donne pas forcément un talent inné pour jouer une personne handicapée. Sinon, est-on encore dans la fiction ? Pour autant, il est important que les castings soient ouverts à tous et que chacun puisse avoir sa chance.
H.fr : Comment leur permettre de trouver leur place ?
PP : En sensibilisant les réalisateurs, metteurs en scènes et directeurs de casting. En mettant en réseau ces professionnels avec des artistes interprètes mais aussi des techniciens en situation de handicap. C'est justement l'objectif de la mission handicap spectacle vivant et enregistré www.missionh-spectacle.fr ) créée en 2020, portée par Audiens en partenariat avec l'Agefiph (fonds pour l'emploi des personnes handicapées dans le privé).
H.fr : Des raisons d'être optimistes, donc ?
PP : Aujourd'hui, les productions qui intègrent le sujet du handicap sont en constante augmentation. Une démarche à reproduire est celle de France Télévisions qui mobilise les associations représentatives des personnes handicapées ; une collaboration éprouvée pour les séries comme Skam, Mental… Misons sur l'avenir, sur les nouveaux profils qui vont émerger, l'évolution naturelle des mentalités, en faisant confiance au temps, donc en encourageant à mieux faire plutôt qu'en s'indignant. Sans oublier que la fiction tend à la prise de conscience et qu'elle reste avant tout une œuvre de l'esprit…