Handicap.fr : Quelle est la particularité de la prothèse de main de Maxence, 6 ans ?
Dominique Fillonneau : Maxence est ce qu'on appelle agénésique, c'est-à-dire qu'il est né sans main gauche mais a toujours son poignet actif. Il est né avec un schéma corporel intègre. Ce garçon de 6 ans a pris l'habitude de compenser et, comme la plupart des enfants qui sont dans son cas, il n'était pas forcément demandeur de prothèse dite mécanique. Dans les années 80, on les poussait à s'appareiller mais on se rend compte qu'ils n'ont en réalité rien à « remplacer ». Une prothèse de ce type pouvait donc suffire, ce qui n'est pas le cas pour les personnes amputées.
H.fr : Et pourtant, certains amputés laissent aussi leurs prothèses au placard, comme le jeune nageur Théo qui écrit même avec ses moignons.
DF : C'est vrai, j'en connais un grand nombre qui ne mettent des prothèses de mains que pour des raisons esthétiques, en public, mais, une fois chez eux, ils ne s'en servent plus car ils ont acquis une « autre » dextérité. C'est comme si on vous demandait d'écrire avec deux bâtons au bout des mains. Ils ont appris à compenser…
H.fr : Alors, à quoi la prothèse de Maxence peut-elle servir ?
DF : Plus comme d'un jouet, au début. Mais, à terme, cela peut lui permettre d'appréhender l'intérêt d'une préhension bi-manuelle et d'aller vers un orthoprothésiste qui lui proposera une prothèse myoélectrique, beaucoup plus performante. C'est une étape intéressante pour ouvrir le champ des possibles. Les enfants agénésiques réclament souvent d'être appareillés au moment où ils souhaitent s'initier au vélo ; ils ont besoin de deux membres de la même longueur pour maintenir l'équilibre. Dans ce cas, une prothèse imprimée en 3D peut faire l'affaire.
H.fr : Il faut du temps pour accepter cette idée ?
DF : Oui, parfois. Je peux vous citer le cas d'un patient qui avait été appareillé enfant mais a rejeté sa prothèse au moment de l'adolescence. Il lui a fallu attendre de trouver un emploi comme programmateur dans une entreprise de téléphonie pour se rendre compte des bénéfices de sa prothèse myoélectrique.
H.fr : Avec le cas Maxence, certains n'ont pas manqué de mettre en concurrence ces deux types de prothèses, amateur et pro, et de dénoncer le « beurre » que se faisaient les prothésistes.
DF : Ce ne sont pas du tout les mêmes enjeux. C'est vrai que cette technique d'impression « maison » peut apporter une solution ponctuelle mais ne pourra pas tout faire, notamment par manque de solidité et de finesse. Je me montre tout à fait enthousiaste envers ce genre d'initiative qui se répand dans le monde entier. C'est une belle aventure de partage et de solidarité, avec la notion de faire quelque chose pour l'autre. Mais, d'un point de vue purement technique, il n'y a rien de comparable avec le travail réalisé par un orthoprothésiste. C'est un peu comme au cinéma, la 3D ne fait pas le film.
H.fr : Quel est l'objectif de votre métier ?
DF : C'est la compensation du handicap, l'accompagnement des patients dans la durée et la capacité à trouver des réponses adaptées à leurs demandes. Nos patients agénésiques sont plutôt rares et nous prenons surtout en charge des personnes amputées.
H.fr : Les orthoprothésistes se servent aussi d'imprimantes 3D ?
DF : Oui, bien sûr, pour certaines réalisations, et c'est évidemment un plus pour nous. Dans cinq ans, on peut envisager que toute la profession sera équipée, a minima d'une petite imprimante comme celle qui a servi à faire la main de Maxence jusqu'à des modèles qui valent près d'un million d'euros. Nous utilisons déjà des scanners 3D pour réaliser des corsets.
H.fr : Ce système permet notamment d'équiper des enfants africains amputés à moindre coût…
DF : Je connais bien le sujet car j'ai travaillé auprès d'eux au Sénégal. Pour eux, il n'y a malheureusement pas d'autre alternative et ils ne pourront pas bénéficier des prothèses plus performantes que nous proposons en France. Aujourd'hui, la sécurité sociale rembourse des modèles très élaborés qui apportent de réelles solutions aux patients.
H.fr : Oui mais 50 euros quand même, contre des milliers pour une prothèse « professionnelle »…
DF : A ce prix-là, vous n'avez que le prix de la matière première puisque ces réalisations sont faites en général par des bénévoles. Mais c'est sans compter le temps passé, à la fois pour la fabrication et la recherche et développement lorsque nous devons réaliser une prothèse adaptée. Les marges nettes de nos établissements sont vérifiées par le comité économique des produits de santé et ne doivent pas dépasser 5%. Nous sommes le plus souvent à 4%. A ceux qui s'inquiètent, je peux leur assurer que les orthoprothésistes ne s'en mettent pas plein les poches.
H.fr : Votre « expertise » justifie donc le prix ?
DF : Evidemment, certaines de nos réalisations coûtent une fortune car elles exigent un vrai savoir-faire et de nombreux composants.
H.fr : A peine plus qu'un téléphone portable…
DF : Oui, certes, mais les téléphones sont vendus à des millions d'exemplaires et les prothèses à moins de 20 000. C'est ce qu'on appelle l'économie d'échelle. Le coût du développement est exorbitant pour une population très faible, celle d'amputés membre sup. C'est l'amputation la plus grave et la plus difficile à surmonter psychologiquement car le rôle de la main est essentiel. Il faut donc tout mettre en œuvre pour se rapprocher de la main physiologique, même si on en est encore loin.
H.fr : Les prothèses imprimées en 3D prennent parfois l'apparence de mains de super héros, ce qui permet aussi d'en faire des objets singuliers et donc de valoriser l'enfant…
DF : C'est la même chose pour nos prothèses. Nous répondons à toutes les demandes, même les plus fantaisistes. Nous concevons des modèles destinés à la course, au surf, à l'escalade sur lesquels nous intégrons des lycras avec des dessins, des logos, des images. Cela fait longtemps déjà que nous avons pris le parti de « sublimer » la notion d'appareillage. Un de mes patients m'a même réclamé une prothèse en carbone avec des diodes intégrées.
H.fr : La guerre n'aura donc pas lieu entre pro et amateurs…
DF : Non, je ne pense pas. Je vais vous donner une preuve de notre complémentarité. A Rennes, le « fablab » (laboratoire ouvert au public qui met ses imprimantes à disposition) est animé par Nicolas Huchet, amputé à la suite d'un accident. Il est l'un des précurseurs de l'impression 3D, ce qui ne l'empêche pas d'être équipé d'une prothèse myoélectrique fabriquée par un ortho. Les deux voies sont compatibles, même s'il travaille sur un projet de prothèse myoélectrique imprimée en 3D. Et puis il faudra toujours des orthoprothésistes pour confectionner les emboitures, un travail d'orfèvre…