Par Pauline Froissart
Créée à la galerie Pallant House dans le sud de l'Angleterre, il y a un peu plus de dix ans, "Outside in" est devenue une association indépendante qui soutient actuellement plus de 2 600 artistes. En janvier 2018, une trentaine d'entre eux ont été exposés dans la prestigieuse salle de ventes Sotheby's, à Londres. "Outside in" aide des artistes qui rencontrent des obstacles pour accéder au monde de l'art. Cela peut être un trouble mental, un handicap, un problème de santé, la pauvreté...", a expliqué à l'AFP le directeur de l'association, Marc Steene. "Dans cette exposition, vous verrez des artistes dont le travail vient du cœur, est purement intuitif, ou avec lequel ils essaient de résoudre des problèmes personnels."
Après la prison
Parmi ces œuvres, une femme nue, accroupie, jette un regard perçant derrière son smartphone. Ce dessin en noir et blanc est celui de Dannielle Hodson, 37 ans. "Je fais beaucoup de portraits, je travaille avec spontanéité et automatisme", explique doucement cette Anglaise, installée à Londres depuis vingt ans. Son travail "parle toujours de liberté, ça vient aussi peut-être de mon histoire" ajoute-t-elle. Elle a entendu parler de l'association en 2008 alors qu'elle "griffonnait" entre les quatre murs d'une cellule de prison. "Quand vous êtes en prison, ou dans une institution, vous n'êtes pas connecté au monde extérieur", raconte-t-elle. "Sans formation et expérience, c'est difficile de trouver un endroit pour ses œuvres". Dannielle Hodson a remporté un concours organisé par Outside in. À sa sortie de prison, elle exposait pour la première fois. "Je faisais quelque chose que j'aimais et j'étais payée pour cela", se rappelle avec bonheur la trentenaire, qui se consacre désormais entièrement à son art.
Des artistes reconnus
"Outside in" se targue d'avoir aidé des artistes à percer, comme Albert, exposé pour la première fois en 2009 et dont le travail "figure maintenant dans des collections très importantes comme la collection ABCD/Bruno Decharme à Paris", qui rassemble des pièces d'art brut, souligne Marc Steene. C'est le cas aussi de Manuel Bonifacio, 70 ans, qui fréquente un centre de jour pour adultes souffrant de troubles de l'apprentissage, où il crée de manière prolifique dessins, peintures et céramiques. "Parce que nous avons amené son travail dans des lieux très importants, ses œuvres sont maintenant dans la Collection de l'Art Brut, à Lausanne (Suisse)", se félicite Marc Steene.
Faire bouger la culture
"Outside in" aide les artistes à exposer leurs œuvres, à monter un site internet, et les soutient dans leurs démarches. "Il y a tellement de risques d'exploitation, ils risquent de ne pas réaliser quelle valeur leur art peut avoir", souligne M. Steene, lui-même artiste. Avec Outside in, "ce que nous essayons de faire c'est de bousculer la culture, d'élargir son horizon", affirme le directeur. Carlo Keshishian, qui exposait à Sotheby's une peinture intitulée "Un millier de mots", faite de centaines de lettres enchevêtrées, raconte que l'association l'a "aidé à gagner confiance en lui" et lui a ouvert de nombreuses "opportunités". "Je me suis retrouvé à parler devant des centaines de personnes, j'ai rencontré de nombreux artistes, conduit des ateliers d'art (...) entre autres choses que, sans leur soutien, j'aurais eu du mal à accomplir". Parmi les artistes soutenus, beaucoup de styles différents, mais une chose que Dannielle Hodson "retrouve chez tous : la volonté de faire de l'art malgré les circonstances." Du 4 au 6 mai 2018, "Outside in" organise la conférence de l'European outsider art association (EOA), qui réunit artistes, commissaires et collectionneurs ainsi que représentants des musées et galeries.
Et en France ?
En France, un projet similaire est mené par EgArt - Pour un égal accès à l'art. L'exposition "Extra-Ordinaire(s)", réalisée en partenariat avec cette association, sera inaugurée le 15 mars 2018 à Paris (15) ; elle réunit des artistes en situation de handicap, connus ou non. Elle sera ensuite itinérante en France et à l'étranger en 2018‐2019. En 2013, déjà, une exposition d'art brut regroupait 160 artistes issus de structures associatives et médico-sociales à Paris (article en lien ci-dessous). Au XIXe siècle, certains psychiatres ont conservé les œuvres de leurs patients ; elles sont dévoilées dans le cadre d'une exposition qui se tient jusqu'au 18 mars 2018 au sein de la Maison Victor Hugo Paris (article en lien ci-dessous).
© Dessins de journal de Bobby Baker : la maladie mentale et moi. Image : Andrew Whittuck