Par Eve Szeftel
Au quartier des Musiciens à Argenteuil (Val-d'Oise) comme à la cité de l'Europe à Aulnay-sous-Bois ou Paul-Eluard à Bobigny (Seine-Saint-Denis), c'est à chaque fois la même plainte, la même exaspération : des ascenseurs qui fonctionnent par intermittence ou sont à l'arrêt depuis plusieurs mois, des délais d'intervention trop longs et des réparations sans effet. « Ca fait six mois qu'on est sans ascenseur. Je ne descends que quand je suis obligée. Ca me rend dépendante de tout le monde », fulmine Viviane Hemmerlé, 63 ans. Cette locataire d'Argenteuil, invalide à 80%, a beau n'habiter « qu'au troisième », monter les escaliers est un « calvaire ». A chaque palier, elle s'arrête pour reprendre son souffle. Val-d'Oise Habitat, le bailleur, a dépêché des porteurs, mais « ils ne sont pas là tout le temps et moi je veux descendre faire mes courses quand j'en ai envie. On paie notre loyer, on veut notre ascenseur! », ajoute Mme Hemmerlé, qui a assigné l'office HLM pour préjudices moral et physique.
A cause du vandalisme
Pour le bailleur, qui s'est engagé à rembourser une partie des charges, ces pannes sont « dues à des actes d'incivilités et de vol de matériels, qui ont fait l'objet de dépôts de plainte ». Et malheureusement, l'entreprise qui fournit les pièces détachées a fait faillite. « On nous fait culpabiliser en disant que c'est du vandalisme. Ca peut arriver mais c'est toujours bénin », conteste Abdelmalik Ziouche. Lui n'est pas « le plus à plaindre : ma voisine du 5e, ça fait 6 mois qu'elle est pas descendue! Pourquoi on nous prend pas en considération ? C'est humiliant et frustrant car on n'a aucun recours, on ne fait que subir », s'indigne ce quadragénaire.
La peur au ventre
A Bobigny, l'immeuble bas où vit Martine Fontaine n'a que quatre ans d'existence mais l'ascenseur est aussi capricieux que dans les tours voisines. Et pour cette locataire handicapée, en fauteuil roulant, la vie est devenue impossible. Cet été, l'appareil est resté immobilisé 45 jours. Et « ça recommence à débloquer. On nous raconte des baratins, comme quoi il faudrait 8 semaines pour faire venir une pièce d'Espagne...» Pour Mme Fontaine, 66 ans, « les ascenseurs, c'est la sécurité et c'est aussi la liberté, pour des gens comme moi, des personnes âgées, des femmes enceintes ou des enfants en bas âge, de pouvoir circuler comme ils ont envie et ne pas avoir toujours la peur au ventre en prenant l'ascenseur ». En mai 2016, le chef de cabinet du maire de Bobigny a été blessé à la gorge par un habitant excédé que sa mère, âgée et malade, soit restée coincée dans l'ascenseur, après une énième avarie.
Action de groupe
En octobre 2016, des responsables d'amicales de plusieurs quartiers de Seine-Saint-Denis se sont constitués en collectif. Ils ont rencontré un avocat afin de réfléchir à la possibilité d'une action de groupe. « Les habitants de Bobigny ne veulent ni plus ni moins que ceux de Neuilly-sur-Seine : jouir de leurs droits. La panne doit être l'exception, pas la règle », affirme Fouad Ben Ahmed, à l'origine de cette initiative. « J'aime ma cité et vivre dans la dignité » : à la cité de l'Europe d'Aulnay-sous-Bois (800 logements), où les pannes d'ascenseurs viennent s'ajouter à une longue liste de problèmes, les habitants ont prévu de manifester le 26 octobre 2016 sous les fenêtres du bailleur, Emmaüs Habitat. « Le but de la mobilisation est de dire à Emmaüs qu'on est des êtres humains, qu'ils arrêtent de nous prendre pour des rats ou des cafards qu'on met dans des boîtes d'allumettes », dit Mohammed Maatoug, président de l'amicale des locataires. « Si on n'arrive pas à se faire entendre, prévient-il, on gèlera les loyers puis on les attaquera en justice ».
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