Booster son sommeil pour réduire ses maux ? La douleur, a fortiori lorsqu'elle est chronique, peut être véritablement invalidante et avoir un impact néfaste sur les journées des personnes concernées... mais aussi leurs nuits. Eh oui car c'est à trois heures du matin qu'elle atteint son paroxysme. C'est ce que viennent de mettre en évidence des chercheurs de l'Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) qui publient leur recherche dans la revue scientifique Brain le 20 juillet 2022 (en anglais, en lien ci-dessous) *. Cette découverte pourrait aboutir à de nouvelles approches pour le traitement de la douleur.
Douleur minime entre 15 et 16h
Le niveau d'activité de nombreuses fonctions de l'organisme est régulé par le rythme circadien, une sorte d'horloge interne calée sur un cycle de 24 heures ; cela concerne le système veille/sommeil, la température corporelle, la pression artérielle, la production d'hormones, la fréquence cardiaque mais aussi les capacités cognitives, l'humeur ou encore la mémoire. La douleur vient désormais s'ajouter à cette longue liste. Si son intensité maximale se situe entre trois et quatre heures du matin, douze heures plus tard (entre quinze et seize heures) elle atteint son niveau le plus bas, et ce « indépendamment du comportement et de tout facteur extérieur de l'environnement », soulignent les chercheurs.
12 jeunes éveillés durant 34 heures
Pour le mettre en évidence, ils ont étudié douze jeunes adultes au laboratoire dans des conditions « d'isolation temporelle » et de constante routine. Ils les ont maintenus éveillés durant 34 heures sans qu'aucun signal externe ni rythme environnemental ne leur parviennent : pas d'horaire, pas de repas à heure fixe mais une collation chaque heure, une température et une faible luminosité constantes, pas de changement de posture (position semi-allongée) et pas de rythme d'activité/repos. L'équipe a ensuite exposé l'avant-bras des participants à une source de chaleur toutes les deux heures, qui devaient indiquer quand le stimulus devenait douloureux puis évaluer l'intensité de la douleur sur une échelle de 1 à 10 lors de l'application d'une température de 42, 44 ou 46 degrés Celsius. « Les résultats sont très homogènes avec une association (ndlr : entre horloge interne et douleur) extrêmement significative », affirme Claude Gronfier, l'un des auteurs de l'étude.
Moins de sommeil, plus de douleur
Première conclusion : la sensibilité à la douleur augmente de façon linéaire avec la dette de sommeil, qui correspond à un temps de sommeil inférieur aux besoins. Autrement dit, plus la dette de sommeil est importante, plus l'intensité de la douleur ressentie l'est aussi. « Il est souvent dit que le sommeil a une action antalgique. Mais, en modélisant mathématiquement nos résultats, nous montrons que l'horloge interne est responsable de 80 % de la variation de la sensation douloureuse au cours de 24 heures, contre seulement 20 % pour le sommeil », clarifie Claude Gronfier. Pourquoi ? « On peut penser que l'évolution a mis cela en place afin d'être réveillé rapidement en cas de contact douloureux et d'éviter une menace vitale. Pendant la journée, l'individu est conscient de l'environnement et plus facilement sujet aux blessures ; ce signal d'alerte pourrait donc être moins nécessaire », suppose-t-il.
Tenir compte des rythmes biologiques
Pour Claude Gronfier, il est donc légitime de penser « qu'améliorer la synchronisation des rythmes biologiques et/ou la qualité du sommeil chez des individus souffrant de douleurs chroniques pourrait participer à une meilleure prise en charge thérapeutique ». En outre, « tout comme la chronothérapeutique du cancer a fait ses preuves avec une meilleure efficacité et une toxicité réduite en cas d'administration des médicaments à certains moments de la journée, adapter un traitement antalgique selon le même procédé en tenant compte du rythme biologique de chacun pourrait accroître son efficacité tout en réduisant la dose nécessaire et les potentiels effets indésirables », ajoute-t-il. Cette hypothèse reste toutefois à valider par des essais cliniques avant de pouvoir proposer cette approche chronobiologique aux patients... A quand le verdict ? Tic, tac, l'heure tourne !
* au sein du Centre de recherche en neurosciences de Lyon (Inserm/Université Claude Bernard Lyon 1/CNRS)