Handicap.fr : Alicia et Clarisse, prendre la parole devant des centaines de personnes pour vous exprimer sur le sort réservé, au sein de l'école, aux enfants handicapés, c'est un défi que avez osé relever…
Clarisse : Nous avons participé, il y a quelques mois, au Concours de plaidoiries des lycéens du Mémorial de Caen. Nous devions écrire une plaidoirie sur un sujet qui porte atteinte aux droits de l'Homme, qui nous touche personnellement et qui mobilise des textes fondamentaux, nationaux comme internationaux, tout en proposant des solutions qui pourraient être mises en place. Nous avons choisi un sujet sur le handicap, intitulé : « Entre handicap et éducation : où réside la véritable injustice ? ».
H.fr : Comment vous est venue cette idée ?
Clarisse : Nous sommes deux lycéennes en terminales économique et sociale et littéraire au lycée privé Champagnat, à Saint-Symphorien-sur-Coise, dans la région Rhône-Alpes-Auvergne. C'est notre professeur d'EMC, c'est-à-dire d'enseignement moral et civique, qui a inscrit notre classe à ce projet. Nous étions amies depuis la première, nous avons décidé de nous mettre ensemble…
H.fr : Pourquoi avoir choisi le thème du handicap ?
Alicia : Ma petite sœur de 11 ans, Lydie, a des troubles autistiques, alors forcément, cela me touchait sur le plan personnel. Elle est scolarisée en Ulis-Ecole. Et c'est un sujet d'actu car elle a l'âge de passer au collège mais il n'y a aucune orientation pour elle l'année prochaine. Mes parents aimeraient lui trouver une place en IME (Etablissement médico-éducatif) mais nous n'avons aucune réponse de la MDPH ou alors dans des internats très éloignés de chez nous.
H.fr : Et vous, Clarisse, en quoi ce thème vous a intéressé ?
Clarisse : Je n'ai pas de lien direct avec le handicap mais c'est aussi un sujet qui me touche et me révolte. Je suis très attachée à Lydie. Et puis ma maman est enseignante et a déjà eu des élèves handicapés. Je l'aide parfois dans sa classe et suis indignée par le manque de solutions pour eux après l'école primaire…
H.fr : Vous deviez connaître votre texte par cœur. Huit minutes maximum… Quel en était l'esprit ?
Alicia et Clarisse, à deux voix : « Lydie, comme plus de 20 000 autres enfants en France, souffre d'un double handicap, celui d'avoir un trouble psychomoteur qui l'empêcher d'aller à l'école comme tous les autres. Pourtant la France affirme être une société prônant l'égalité, la liberté et la fraternité... Mesdames, messieurs, pensez-vous que cela soit juste de refuser des enfants à l'école parce qu'ils ne rentrent pas dans ce que l'on appelle des normes sociétales. (…) Nous, non. Cette situation est une atteinte aux droits de l'Homme contre laquelle nous avons le devoir de nous indigner. Ne perdons pas de vue notre identité commune et affirmons, comme Victor Hugo, que « L'Humanité à un synonyme : égalité. »
H.fr : Finalement, avez-vous participé à la finale des plaidoiries à Caen ?
Alicia : Non car nous ne sommes arrivées qu'à la troisième place de la finale régionale.
H.fr : Tout semblait terminé pour vous, et puis, rebondissement…
Clarisse : Oui, nous avons été invitées à participer au colloque de l'Association française de promotion de la santé scolaire et universitaire, qui s'est tenu en janvier 2016 à Paris. Son thème était : « Enfants orphelins ou blessés de la vie : comment les aider à avancer ? ». Nous étions les plus jeunes à intervenir, les seules lycéennes. Nous y avons reçu un prix d'honneur.
H.fr : L'assistance devait être surprise que de si jeunes femmes prennent ainsi la parole…
Clarisse : Oui c'est vrai, nous avons eu de nombreux retours très positifs de professionnels de la santé, de l'enseignement ou du droit. Ils nous ont félicitées pour notre talent oratoire, alors que nous sommes d'un naturel plutôt timide et que c'était vraiment une épreuve difficile de parler en public. 300 personnes quand même !
Etrangement, j'ai quand même bien apprécié car ce public était attentif et bienveillant ; je voyais des personnes hocher la tête et qui semblaient nous soutenir.
Alicia : Oui et puis pour moi c'était un peu comme si j'avais eu ma petite sœur en face de moi et que je lui parlais. L'adrénaline nous a donné du courage, ce n'était pas seulement une récitation, ça venait vraiment du fond du cœur.
H.fr : Lydie n'était pas dans la salle ?
Alicia : Non, malheureusement, parce que mes parents travaillaient et ne pouvaient pas l'emmener. Cependant ils sont très fiers de nous, et je ne compte plus les fois où ma mère a pleuré.
Clarisse : Les miens ont pu visionner la vidéo et étaient très fiers.
H.fr : Vous dénoncez, d'accord, mais proposez-vous également des solutions ?
Alicia : Oui, bien sûr, c'était l'objet de notre 3e partie. Tout d'abord resserrer les liens entre les différents acteurs autour de l'enfant handicapé. Lydie, par exemple, est allée en hôpital de jour mais personne ne communiquait avec la famille, l'école ou les orthophonistes. C'était très compliqué de savoir ce qu'elle y faisait toute la journée et ça n'avançait pas…
Clarisse : Il faudrait aussi une meilleure formation des enseignants et des AVS. On connait le cas d'une maman qui a été obligée d'arrêter de travailler pour faire la classe à son fils à la maison car elle n'avait obtenu aucune place dans un établissement adapté. Elle nous a également confié que, le plus souvent, les AVS non formées délaissaient son fils pour s'occuper des autres élèves.
H.fr : Quelle maturité car tout ce vous proposez nourrit le combat des associations de personnes handicapées !
Alicia : On l'espère et on en a encore plein d'autres idées… Par exemple que soient fixés des délais pour le traitement des dossiers MDPH. Lydie attend une réponse pour son orientation depuis plus d'un an. On déplace les RV sans cesse et toujours pas de solution.
H.fr : Avez-vous le sentiment que cette expérience vous a changées ?
Alicia : Oui, elle nous a donné du courage, de l'ambition, la force de continuer. Nous nous sentons actrices de nos vies, capables de nous battre. Nous avons même eu un article dans Le Progrès. Notre message est diffusé ; on ne peut pas espérer mieux. Le plus important, c'est qu'on en parle, que les choses changent.
Clarisse : Cela nous a donné aussi confiance en nous en montrant que, malgré notre âge et notre timidité, nous pouvions aussi faire avancer les choses.
Alicia : Et si on me redemande de participer aux plaidoiries, je dis « Oui » tout de suite !
H.fr : Et Lydie, que pense-t-elle des engagements de sa grande sœur ?
Alicia : Elle n'en a pas trop conscience ; elle vit dans son monde et c'est ça qui est admirable. Elle sait poser des questions qui n'ont aucun sens et faire rire les gens. Quand je lui explique qu'on fait tout cela pour elle, pour son avenir, parce qu'on l'aime, elle me fait un gros câlin…