Loi ELAN : les personnes handicapées privées de logement ?

La loi ELAN crée la polémique en matière de logement dédié aux personnes handicapées. Exit l'accessibilité, bienvenue l'évolutivité ! Une nuance ambiguë qui inquiète les associations. Selon elles, une vraie menace si la loi est votée en l'éta

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Le 4 avril 2018, le projet de loi ÉLAN (Évolution du logement et aménagement numérique) est à l'ordre du jour du Conseil des ministres. Elle comporte sept articles autorisant le gouvernement à légiférer par voie d'ordonnances, ce que la CNL (Confédération nationale du logement) juge « antidémocratique ». Un premier clash sur la forme mais le fond n'est pas épargné par la critique. Parmi les sujets abordés, le logement accessible aux personnes handicapées, via l'article 18. Et ça grince ! La CNL s'inquiète en effet de la « très forte réduction des normes d'accessibilité » dans la construction de logements neufs.

Accessibles ou évolutifs ?

En effet, ce texte prévoit de passer du « 100% de logements neufs accessibles », prévu par la loi Handicap du 11 février 2005, à la notion de « 100% de logements évolutifs », autrement dit susceptibles d'être adaptés pour accueillir une personne handicapée, en abattant, par exemple, des cloisons amovibles. Le texte prévoit toutefois le maintien d'un quota de 10% de logements neufs accessibles d'emblée. Pour Eddie Jacquemart, président de la CNL, tous « doivent rester 100% accessibles » car la famille ou les amis d'une personne handicapée « doivent aussi pouvoir la recevoir ». C'est précisément le constat d'échec des politiques de quotas de logements « adaptés » développées tout au long des années 60 qui avait conduit les auteurs de la loi du 30 juin 1975 à retenir le concept d'une « unité de vie » accessible dans tous les appartements nouveaux situés en rez-de-chaussée ou desservis par ascenseur. Le principe étant d'assurer à un occupant ou un visiteur en fauteuil roulant, l'accès au séjour, à la cuisine, aux toilettes, à la salle de bains et, à minima, à une chambre indépendante. Et, ce, sans travaux !

Bataille de chiffres

L'Anpihm (Association nationale pour l'intégration des personnes handicapées moteur), qui bataille sur cette question depuis des années, tient à apporter une précision importante : le quota proposé par la loi ÉLAN ne porte pas sur 100% des logements nouveaux mais 100% des logements nouveaux réputés « accessibles » via les parties communes, c'est-à-dire ceux desservis par ascenseur ou situés en rez-de-chaussée ou les maisons individuelles construites pour être louées ou vendues clés en mains. Nuance de taille ! Selon ses calculs, cela représente seulement 10 900 appartements nouveaux accessibles et immédiatement habitables par an dont 2 300 appartements HLM pour une population en France métropolitaine de… 65,2 millions d'habitants ! « En fait, nombreux sont ceux qui font cette grossière confusion qui, au demeurant, n'est jamais dénoncée par les sachants tant elle leur permet de dire que les personnes en situation de handicap en demandent trop... », explique Christian François, délégué accessibilité de l'Anpihm. Son verdict est sans appel : cela correspond, dans le cas des HLM, à un logement accessible pour 30 000 habitants ! Or, sur ces 30 000 personnes, statistiquement, 160 seront victimes d'un accident de santé invalidant (AVC, infarctus, fracture du col du fémur...) et, par ailleurs, 1 800 seront âgées de 80 ans et plus. « Une sous-estimation invraisemblable des besoins », selon lui. Et on ne parle, là, que des logements sociaux. « Dans le privé, c'est encore pire ! ».

Quels types de travaux ?

Alors, même si le ministère de la Cohésion des territoires a précisé, le 30 mars 2018, que « tous les logements neufs pourront être rendus accessibles à travers de simples travaux », Christian François affirme que ces promesses sont « invérifiables ». Dans un communiqué, l'association qualifie ce concept d'appartement évolutif de « fumeux », tant au plan technique que réglementaire. « Comment être certain que les travaux en cas d'occupation par un habitant en fauteuil roulant seront possibles puisque, depuis 2007, les permis de construire ne font figurer que les murs porteurs, les façades et les toitures ?, s'interroge-t-il. Imaginez par exemple deux petites chambres séparées par un couloir de 90 cm. Il ne s'agit plus seulement d'abattre une cloison. A la livraison du domicile, il sera trop tard pour revoir les plans… D'autant que rien ne dit, pour le moment, si les travaux seront à la charge du bailleur ou du locataire. » La disposition ne vise « pas à faire des économies », a assuré Julien Denormandie, secrétaire d'Etat à la Cohésion des territoires, lors du compte-rendu du Conseil des ministres du 4 avril, mais à réduire la surface des salle de bains, aujourd'hui surdimensionnées pour laisser passer un fauteuil roulant. En revanche, selon lui, les toilettes devront « rester accessibles » aux visiteurs handicapés ou à mobilité réduite. 

Des ascenseurs à R+3

Le gouvernement a par ailleurs refusé de revenir sur la norme en vigueur depuis 1984 qui prévoit d'installer un ascenseur dans les bâtiments R+4 (4 étages), alors que les associations de personnes handicapées réclament qu'il le soit à R+3. Rappelons que la population âgée de 80 ans et plus (3,9 millions de Français au 1er janvier 2018, dont 80% vit à domicile) a progressé de 35% depuis 2006. L'analyse conjointe de ces deux problématiques fait apparaître un ratio de 47 appartements desservis par ascenseur pour 100 personnes de 80 ans et plus en 2006 qui est passé à 39 en 2014. Ces chiffres témoignent, à population constante, d'un recul de 17% de la disponibilité des logements accessibles en 8 ans. L'Anphim déplore enfin que la loi ÉLAN refuse d'assurer l'accès aux balcons et loggias aux personnes utilisant un fauteuil roulant, contrairement à la plupart de nos voisins européens.

Alerte aux députés

Après avoir été, à maintes reprises, interrogée par le gouvernement sur ce sujet et constatant que ses arguments n'ont pas été entendus, l'association affirme que les pouvoirs publics sont davantage « sensibles aux doléances des principaux lobbies immobiliers » et, ce, « contre l'intérêt général de la population et contre l'opposition unanime du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH) ». Le président de l'Anphim, Vincent Assante, dénonce une « concertation en trompe l'œil ». Face à ce projet, elle réitère son « appel à tous les parlementaires soucieux de I'intérêt général à s'opposer fermement à ce double coup de force ». De son côté, un collectif de treize organisations représentatives des personnes en situation de handicap et de la lutte contre l'exclusion s'indigne, dans un communiqué commun, de ces mesures qui « vont à l'encontre des besoins, quantitatifs et qualitatifs, des personnes handicapées et âgées ». Le projet de loi ÉLAN doit être discuté à l'Assemblée nationale fin mai 2018.

Dernière minute du 10 avril 2018

Le 29 mars 2018, le Conseil d'État a pris une position « préventive », dont se félicite l' Anphim, et indique, d'une part, qu'« il ne paraît pas possible de fixer, au niveau législatif, les conditions précises d'application de la mesure visant à la production, au sein des bâtiments d'habitation collectifs, d'un 10e de logements accessibles (et au moins un logement) tandis que les autres logements seraient 'évolutifs' sauf à empiéter manifestement sur la compétence du pouvoir réglementaire » et d'autre part, que « la rédaction actuelle » d'un certain nombre de « dispositions du Code de la construction et de l'habitation dont la rédaction actuelle ne s'avère pas, au regard de l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, satisfaisante ».

© Sébastien/Fotolia

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Emmanuelle Dal'Secco, journaliste Handicap.fr"
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