Handicap.fr : Quel est l'objectif de votre combat ?
Nicolas Fargette : Que mon frère Dimitri puisse enfin être pris en charge dans une Maison d'accueil spécialisée (Mas) pour personnes handicapées. Depuis l'âge de 18 ans, il est interné en hôpital psychiatrique. 17 ans que ça dure ! Et, le 21 juillet 2015, il a été placé dans une Unité pour malades difficiles (UMD) à Sarreguemines (Moselle). Alors que nous habitons le Jura. On n'a même pas été avertis et on n'a pas pu lui dire au revoir. Il est maintenu à l'isolement, attaché, sous camisole chimique. Aucune sortie ne lui est permise et il n'a donc rien qui lui permette d'aller mieux. Si on faisait cela à un chien, la SPA s'empresserait de porter plainte.
H.fr : Dimitri est considéré comme dangereux ?
NF : Mais pas du tout. Le préfet du Jura s'appuie sur le certificat d'un psychiatre de Dôle pour maintenir mon frère à l'hôpital, or un psychiatre indépendant a établi que Dimitri n'était pas dangereux et a préconisé son placement en MAS. Il a été diagnostiqué autiste le 7 octobre 2015. Enfin, à l'âge de 35 ans ! Il est tout à fait capable d'aller en salle de télé et ne présente pas de danger pour les autres patients.
H.fr : Dimitri, c'est l'un de triplés de votre fratrie ?
NF : Oui et c'est comme si c'était moi. Je suis prêt à prendre tous les risques pour lui. Il n'a déjà pas eu de chance dans la vie, handicapé à la naissance ; le sort s'acharne vraiment sur lui. En 1998, il a été violé par un infirmier puis en 2003 agressé par un autre qui a même reconnu les faits ; et pourtant les deux plaintes ont été classées sans suite.
H.fr : Alors vous décidez de mener une action coup de poing...
NF : Je m'étais déjà enchaîné aux grilles de la préfecture du Jura en septembre 2015 mais sans obtenir de réponse. Alors je me suis dit : « Faut que ça bouge maintenant ». Il me fallait trouver une action percutante. J'ai repéré les lieux deux jours avant. Lundi matin, je me suis posté devant la préfecture, personne ne me voyait, je me suis dépêché de grimper le long de la façade jusqu'à une balustrade où j'ai déployé mes banderoles.
H.fr : Qu'y avait-il d'écrit sur ces banderoles ?
NF : Sur la première, aux couleurs de Charlie, « Je suis Dimitri, libérez-moi ». Sur l'autre, aux couleurs de la République française, « Attaché, drogué, condamné ».
H.fr : Comment ont réagi les passants ?
NF : Ils étaient interpelés car je racontais notre histoire dans un mégaphone. J'ai lancé des tracts et ce qui m'a fait plaisir c'est d'en voir certains courir pour les ramasser. D'autres m'ont applaudi.
H.fr : Mais toujours pas de réaction des services de la préfecture ?
NF : Aucune, pourtant des employés étaient à leur fenêtre et me filmaient avec leur téléphone. L'un a tenté d'arracher une banderole mais je lui ai dit : « Arrête ou je saute ». Il est parti. Mais pas de réaction du préfet ou de son cabinet. J'étais prêt à rester toute la semaine s'il le fallait...
H.fr : Mais la police est venue rapidement vous déloger ?
NF : Oui, au bout d'une demi-heure. Je me suis assis face au vide et deux agents m'ont ceinturé par derrière. Ensuite, ils s'y sont mis à huit pour me passer les menottes. Je viens pour défendre les intérêts de mon frère mais je suis traité comme un délinquant.
H.fr : Et ensuite ?
NF : Ils m'ont placé en garde en vue pour « rébellion ». Je leur ai répondu : « Contre qui ? La police ou le système ? ». Je suis resté en cellule 6 heures avant d'être entendu, sans la présence d'un avocat. Ça ne me parait pas très légal.
H.fr : Vous ne trouvez pas d'appui auprès des associations de personnes handicapées ?
NF : Pas davantage. Et pourtant je suis surveillant de nuit dans un IME de l'Adapei. J'ai demandé à rencontrer la direction pour obtenir des conseils mais cela n'a rien donné. Notre famille a écrit à François Hollande, à tous les ministères concernés, en leur joignant une pétition qui a recueilli 2 000 signatures. Mais rien... Nous sommes vraiment seuls face au système.
H.fr : Quelle issue à votre action ? Le préfet vous a-t-il enfin entendu ?
NF : Entendu certainement mais toujours pas répondu. Je n'ai pas de nouvelles de lui et ne sais pas si mon action a porté ses fruits. Je fais tout pour le rencontrer depuis des mois... Mon action a bénéficié d'une couverture médiatique qui, je l'espère, va faire bouger les choses. Dimitri doit être vu le 8 novembre 2015 par une commission d'experts psychiatres de l'UMD de Sarreguemines qui doit décider de son retour ou non dans le Jura. De toute façon, au point où nous en sommes, notre famille ne compte pas en rester là.