Par Laetitia Drevet
Un système qui craque ? Les enfants en situation de handicap soutenus par l'Aide sociale à l'enfance représentent 45,45 % des enfants accueillis en lieux de vie et d'accueil. Dans le département d'Indre, par exemple, 31 % de ceux confiés à l'ASE bénéficient d'une reconnaissance handicap MDPH (ASE : 15 à 30 % des jeunes concernés par un handicap). Ces chiffres sont brandis par l'Unapei qui, du 12 au 13 juin, consacrait son congrès annuel aux "situations complexes".
Des centaines de placements inexécutés
"Complexe", voire critique, c'est aussi le constat fait sur la protection de l'enfance par le Syndicat de la magistrature (SM, classé à gauche). Publié en mai 2024, cet état des lieux a interrogé des magistrats qui dénoncent des centaines de placements inexécutés à travers la France, "autant d'enfants en danger maintenus dans leur famille", qu'ils soient en situation de handicap ou pas. "On a pris conscience du caractère systémique de la situation", explique à l'AFP Kim Reuflet, présidente du syndicat. En parallèle du sondage (réalisé à l'automne 2023, auquel 176 des 522 juges pour enfants ont répondu), elle a recueilli de nombreux témoignages.
Des témoignages sidérants
De son téléphone, elle extrait plusieurs histoires, venues de différents départements. Un juge évoque le cas de "trois adolescentes, deux en situation de risque prostitutionnel". La "petite dernière" a été victime d'agressions sexuelles de la part de son père : "placements prononcés en août 2023, toujours pas exécutés". La jeune fille "ne vit pas avec son père" mais le voit toujours puisque "sa mère le fréquente".
Une jeune fille tondue
Un autre magistrat évoque une jeune fille qui arrive un matin au collège les cheveux et sourcils tondus par sa mère. Elle dénonce des maltraitances répétées, la justice prononce un placement. "Elle est remise à sa mère un mois après. Explication : pas de place." Il y a aussi ce petit garçon de 5 ans "jamais scolarisé" et sa sœur aînée de 12 ans, "frappée". "Le placement est mis en œuvre après six mois de relance."
"Potentielle précarité"
Alissa Denissova, membre du Comité de vigilance des anciens enfants placés, s'inquiète aussi de "potentielles situations d'isolement et de précarité". A 16 ans, après la rupture d'un premier placement à Nantes, elle avait vécu plusieurs mois à la rue avant un nouvel hébergement. "Deux hommes que je croisais souvent ont fini par me dire que je pourrais me prostituer et qu'eux me protègeraient. Dans ma situation, j'ai considéré l'offre", raconte la jeune femme, aujourd'hui âgée de 29 ans et présidente de l'association Repairs!44, réseau d'entraide pour les jeunes majeurs de l'ASE.
3 départements dans le noir
Selon les chiffres de l'état des lieux, c'est en Ille-et-Vilaine, en Loire-Atlantique et dans le Nord que les placements inexécutés sont les plus nombreux. Tous les gros bassins de population (logiquement plus concernés, selon Kim Reuflet) ne sont pas renseignés, comme les Bouches-du-Rhône. L'Ille-et-Vilaine dément cependant le chiffre de 397 placements inexécutés avancé par l'état des lieux : le département en dénombre 170. La Loire-Atlantique aussi contredit les 300 placements non exécutés qui lui sont attribués : elle en décomptait 169 fin 2023, auxquels s'ajoutent environ 130 mineurs accompagnés "dans des structures non agréées en protection de l'enfance", des gîtes par exemple.
Saisines en hausse depuis le confinement
"Depuis 2021, nous avons créé 266 places pérennes en hébergement. Mais on nous a confié plus de 400 enfants depuis. Et il y avait déjà un déficit", explique Claire Tramier, vice-présidente du département en charge de la protection de l'enfance, qui précise que le budget dévolu a augmenté depuis 2021 de près de 80 millions d'euros. Les saisines de magistrats ont "fortement augmenté" depuis le confinement, confirme Kim Reuflet, juge des enfants à Nantes de 2011 à 2021.
A cause d'une prévention renforcée ?
Le département évoque aussi l'effet de la prévention renforcée : plus sensibilisés, les professionnels effectuent "davantage de signalements". "On tire la sonnette d'alarme, avec d'autres départements, depuis des mois", ajoute Claire Tramier. La Loire-Atlantique et l'Ille-et-Vilaine figuraient fin 2023 parmi les 24 signataires d'une lettre ouverte à l'exécutif, appelant à des États Généraux de la protection de l'enfance. Ils évoquaient notamment des "lieux d'accueil d'urgence saturés" et des demandes de protection en attente qui "s'accumulent".
Les carences de l'Etat
Plusieurs départements pointent des "carences" de l'Etat, avec notamment l'accueil par l'ASE de jeunes censés être suivis par la Protection judiciaire de la jeunesse et le manque d'établissements pour jeunes handicapés. Conséquence de la récente dissolution de l'Assemblée nationale, une commission d'enquête parlementaire qui avait entrepris mi-mai de se pencher sur les manquements des politiques de protection de l'enfance a été close.
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