« Je parle de ma stomie librement avec mes enfants, mes proches, je réponds à toutes leurs questions. Et je n'ai aucun problème à retourner à la piscine ou à me 'mettre à nu'. » Comme Rémy Lavigne, 79 ans, 100 000 personnes en France vivent avec une stomie urinaire ou digestive. Mais tous n'ont pas une telle facilité à l'exposer, par crainte du regard de l'Autre. Au lendemain de la Journée mondiale dédiée, organisée le 3 octobre 2024, ce retraité au franc-parler rafraîchissant tient à briser l'omerta.
Aucun signe avant-coureur
C'est en 2022 que les choses se sont corsées pour Rémy. « J'étais en forêt avec ma femme en train de chercher des champignons, et me voilà à devoir trouver un arbre toutes les deux minutes pour me soulager, se souvient-il. Je n'avais jamais eu aucun symptôme, ça m'a pris d'un coup. » Les toilettes sont ensuite devenues sa « deuxième maison ». Sur les conseils de son médecin traitant, il consulte un urologue qui décèle la présence de polypes dans la vessie -comme 70 % des stomies, la sienne est due à un cancer. Après leur retrait, Rémy effectue plusieurs séances d'injections par sonde d'immunothérapie afin de diminuer le risque de récidive. « Peu concluant. » Pas d'autres choix que de se délester de sa vessie et de sa prostate.
Un train de vie temporairement limité
Le 27 août 2024, on lui pose une stomie de type Bricker, qui consiste à dévier l'urine vers un segment de l'intestin grêle. Les débuts sont « un peu difficiles ». « J'avais des craintes, j'en ai toujours, livre l'octogénaire. Est-ce que ça va s'arrêter là ? A quel point cette 'poche' va-t-elle changer ma vie ? » Ce passionné de randonnée et de voyages craint de ne plus pouvoir courir le monde et surtout les Etats-Unis, son « pays de cœur ». « Tant qu'on est chez nous ça va mais, si on bouge, c'est compliqué car il y a une montagne de matériel à transporter : poches de jour et de nuit, socle, dissolvant médical pour décoller les résidus de colle laissées par la poche, gros paquet de compresses de gaz... Il faut tout prévoir, tout anticiper. » Quelques semaines après l'opération, « ma vie est un peu en stand-by : je n'ai pas beaucoup d'appétit, je suis fatigué et peine à faire 3 kilomètres à pieds, mais je garde le moral, je ne suis pas au troisième sous-sol ! », sourit cet éternel optimiste.
« L'accompagnement, c'est 50 % du bien-être ! »
« L'accompagnement, c'est 50 % du moral et du bien-être, estime M. Lavigne, et j'ai eu la chance d'être très bien entouré, par mes proches mais aussi par les professionnels de santé, le psychologue et surtout les infirmières. » Les prestataires de santé à domicile (PSAD) ont également joué un rôle majeur dans sa guérison et l'appréhension de sa nouvelle vie avec la stomie. « Les infirmières ont pris le temps de bien m'expliquer comment changer les poches », se félicite-t-il, constatant toutefois que « certaines semblaient peu formées aux stomies urinaires, bien moins répandues que celles dédiées à l'évacuation des selles ».
Le rôle majeur de l'infirmière à domicile
Sandrine Lévêque, infirmière à domicile, a rencontré M. Lavigne lorsqu'il était encore à la clinique. « J'ai pu répondre à toutes ces questions et lui expliquer comment nous allions nous coordonner avec son infirmière libérale pour garantir sa sécurité et son bien-être », explique-t-elle. « A son retour chez lui, je lui ai installé son appareillage. Depuis, nous sommes régulièrement en contact par téléphone pour faire le point sur ses besoins. Cela le rassure, d'une part, et me permet d'identifier rapidement une éventuelle problématique, poursuit-elle. Par la suite, le suivi devient mensuel mais les patients, eux, peuvent nous appeler à tout moment. »
Démystifier la stomie pour mieux vivre avec
« Une telle modification de l'image corporelle peut être difficile à appréhender, il faut être disponible et à l'écoute et surtout savoir s'adapter », explique cette infirmière spécialisée. En effet, « chaque patient est différent, certains éprouvent de la gêne, d'autres sont très à l'aise et nous montrent volontiers la stomie ». D'autres encore « s'interrogent sur les odeurs qu'elle pourrait entraîner, c'est normal, mon rôle consiste à démystifier ce dispositif auprès de chacun d'eux afin de mieux vivre avec ».
Les prestations des PSAD mises en péril
« L'accompagnement des personnes stomisées est une mission propre aux PSAD : nous sommes les seuls à nous déplacer chez elles pour les aider à accepter et à acquérir de l'autonomie avec ces dispositifs », déclare Didier Daoulas, président de l'Upsadi (Union des prestataires de santé à domicile indépendants). « Malheureusement, sans reconnaissance et sans valorisation réelle de nos prestations, ou si la baisse des tarifs se poursuit, cette qualité de service pourrait être mise en péril », alerte-t-il (Santé à domicile : face à la crise, prestataires en danger ?). Pour changer la donne, il affirme travailler « ardemment à ce que nos expertises et les services rendus en matière de santé publique soient davantage reconnus dans les prochaines années ».
Des nuits et une vie plus sereines
« Aujourd'hui, c'est mon premier jour en tête-à-tête avec ma stomie, sans infirmière ! », célèbre Rémy, qui se réjouit des avantages que lui offre sa plus fidèle « compagne ». « Avant, je devais me lever cinq à sept fois par nuit pour aller aux toilettes et, la journée, en cas d'envie pressante, je devais m'y rendre dans les vingt secondes. » « Un jour, alors que je faisais mes courses, je n'ai pas pu me retenir, c'était la panique..., confie-t-il. Je fais désormais des nuits complètes et je suis plus serein. »
Plus de sensibilisation sur le cancer de la vessie
Ce qui l'apaiserait encore plus, c'est de libérer la parole sur ce sujet tabou. « Il y a des campagnes sur le cancer du sein, par exemple, mais celui de la vessie personne n'en parle, moi-même je ne savais pas qu'il existait, alors que tout le monde peut y être confronté. » « Une sensibilisation à grande échelle permettrait à des personnes qui ont des doutes de consulter rapidement et d'être pris en charge à temps », conclut celui qui espère pouvoir emmener sa stomie outre-Atlantique « asap » (dès que possible, en français).
© Rémy Lavigne