Par Benjamin Massot
En cuisine et au service de ce restaurant, au premier étage d'un édifice du XIXe siècle du centre de Rennes, officient des personnes présentant des troubles psychiques, comme une dépression ou de l'anxiété.
Volontaires pour sortir de l'isolement
Le menu, unique, est écrit d'une main maladroite sur un tableau. Des serveurs apportent à la bonne franquette une soupe de céleri, un curry de lentilles ou une panna cotta de sésame à une vingtaine de clients attablés. Les personnes qui ont préparé les plats "sont souvent seuls. L'idée est de casser cela", résume Isabelle Fiand, 57 ans, présidente de l'association La Fraterie du quartier. "Ce sont des personnes qui, à un moment donné, ont décroché, fait un burn out, sortent d'un traumatisme de deuil, et qui sont volontaires" pour tenter de sortir de leur isolement.
Des recettes à adapter
Ainsi, rendez-vous est fixé à 9h pour au maximum trois adultes, aidés par deux bénévoles de l'association pour mitonner les plats, avec la perspective de servir une vingtaine de clients. Le restaurant est ouvert deux fois par semaine, le midi, dans deux lieux différents : le lundi à l'hôtel Pasteur (06 47 10 09 50) et le mercredi au pôle associatif de la Marbaudais (07 83 42 08 20). "Il y a toute une organisation de la cuisine, des règles d'hygiène... Parfois certains ont des problèmes de concentration et n'arrivent pas à éplucher des légumes. J'essaye ainsi de trouver des recettes où il faut seulement mélanger", relate Sylviane Rault, coordinatrice bénévole en cuisine, tablier noué autour de la taille.
Mieux s'alimenter et trouver un emploi !
Une personne sur huit dans le monde vit avec un trouble psychique, selon l'Organisation mondiale de la santé. Le but est également de permettre à ces personnes, qui parfois s'alimentent mal, de pouvoir reproduire ces recettes et ces menus équilibrés chez eux et, pourquoi pas, pour certains d'envisager de décrocher un emploi dans la restauration.
Reprendre confiance en ses capacités
Mais le chemin à parcourir est encore long, comme pour Gwendal, qui vit avec des troubles dépressifs et de l'anxiété. Ainsi, il peut difficilement prendre des transports en commun ou se retrouver dans un lieu avec une dizaine de gens. "Je préfère cuisinier. Servir et aller dans la salle, c'est compliqué pour moi", reconnaît timidement cet homme brun et svelte de 39 ans. "Mais ça me fait du bien : plus on reste à ne rien faire et plus on a tendance à se dire qu'on est capable de rien", philosophe-t-il, alors que les problématiques liées à la santé mentale ont explosé auprès du grand public lors du confinement.
Hausse des troubles dépressifs
Sur la trentaine de personnes qui ont poussé la porte de la Fraterie, "trois se sont dirigés vers une formation et deux vers l'emploi. Remotivation, revalorisation, reconnexion, ça leur a servi de tremplin", note Mme Fiand, également assistante sociale formée en santé mentale. Au niveau national, "en 2017, on avait 9,8 % des personnes âgées de 18 à 75 ans qui avaient vécu un épisode dépressif caractérisé au cours des 12 derniers mois et c'est passé à 13,3 % en 2021", relève Ingrid Gillaizeau, responsable unité santé mentale du département prévention de Santé publique France. Christophe Léon, chargé de projet scientifique dans la même structure, rappelle qu'"on a pu observer l'augmentation des troubles dépressifs en population générale adulte. Les tensions internationales, l'inflation, le changement climatique se répercuteraient aussi dans la population adulte".
Assis sur une grande table, Jacques Le Gouevec, diagnostiqué bipolaire à 18 ans, concède que "la Fraterie est le seul lien social avec l'extérieur" qui lui reste. "Après avoir travaillé toute ma vie dans la menuiserie et la blanchisserie j'ai eu un gros vide au moment de ma retraite l'année dernière."
Un travail valorisant
Parmi les clients, Jean-Luc Masson, retraité, a apprécié le repas, satisfait "d'avoir participé de manière microscopique à la reconnaissance des gens différents qui font admirablement bien leur travail". L'heure est aux comptes : 177,80 euros. Dans une boîte, chaque client a versé une somme libre, sachant que le prix d'équilibre affiché se situe à 9,50 euros (charges, aliments et gratification). Car chacun des cuisiniers a empoché un euro par repas, mais, surtout, a eu "l'impression d'avoir fait un truc valorisant durant la journée", comme le souligne Guillaume, 41 ans.
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