Troubles psychiatriques en prison : la double peine

Quelle place dans les prisons françaises pour les détenus atteints de troubles psychiatriques ? Plus que les que les autres, ils sont stigmatisés, isolés ou suicidaires. Pendant 6 mois, Sarah n'a pas vu la lumière. Un rapport dénonce.

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Par Sofia Bouderbala

Ils sont des milliers dans les prisons françaises ; atteints de troubles psychiatriques, ces détenus déjà fragiles sont, plus que les autres, stigmatisés, isolés ou suicidaires, dénonce Human Rights Watch dans un rapport publié le 5 avril 2016. L'organisation de défense des droits de l'homme, qui a visité huit prisons et s'est entretenue avec 50 personnes en prison - directeurs, surveillants, médecins et détenus - décrit des souffrances aggravées par des conditions de détention « inadaptées » à la situation de détenus en détresse psychologique.

Privée de lumière pendant 6 mois

« J'étais en dépression et je ne sortais plus de ma cellule. Je ne prenais que des médicaments et je dormais... Pendant six mois, je n'ai pas vu la lumière du jour. Je n'ai vu ni médecin, ni psychiatre », a témoigné Sarah, une des détenues citée dans le rapport. La nuit, c'est « le pire » : peur que personne ne réponde à un appel au secours. « La nuit, vous devez être quasiment morte pour qu'un gradé vienne et vous emmène à l'hôpital », a raconté « Anna ». HRW liste une série de problèmes : la « surpopulation carcérale » qui empêche une prise en charge adaptée, un « accès insuffisant ou inadéquat aux soins », des allers-retours entre prison et hôpitaux psychiatriques « préjudiciables pour les patients » et « coûteux pour l'administration », un « manque de formation » du personnel pénitentiaire... La prise en charge des troubles mentaux est « inégale » dans les 188 prisons françaises, dont 26 seulement ont des Services médico-psychologiques régionaux fournissant des soins et des consultations.

Solitude et surpopulation

« A Réau, un établissement neuf où il y a peu de contacts humains, où tout se fait par interphone, le pire c'est la solitude » alors qu'à Nanterre, où quelque 900 détenus s'entassent pour 600 places, c'est « l'absence de suivi personnalisé, avec des surveillants débordés » qui pose problème, a expliqué à l'AFP Izza Leghtas, qui a mené en 2015 cette enquête pour HRW. Fragiles, ces détenus sont plus que les autres susceptibles de se replier sur eux-mêmes : l'un pour échapper au « harcèlement d'autres détenus qui vont chercher à obtenir des médicaments », l'autre pour « éviter d'être envoyé à l'hôpital » où il sera enfermé, entravé et privé de cigarettes. Cet isolement fait qu'ils sont aussi plus sujets au suicide, dans un milieu fermé « où on sait que le taux de suicide est déjà 7 fois plus élevé qu'en milieu ouvert », a rappelé Izza Leghtas.

Urgence à dresser un état des lieux

« Pour mieux répondre à cette souffrance, plaide l'enquêtrice, il faut la connaître. Il y a urgence à dresser un état des lieux : la dernière étude sur la santé mentale en France remonte à 2004 et révélait que presque un quart des détenus étaient atteints de troubles psychiatriques ». Cité dans le rapport, l'ancien contrôleur des lieux de privation de liberté, Jean-Marie Delarue, évalue à quelque 17 000 le nombre de détenus (sur 67 000 sous écrou) ayant « une pathologie mentale grave ». HRW pointe « un nombre disproportionné » de détenus présentant des troubles mentaux dans les prisons françaises, en partie expliqué par le fait que « l'altération du discernement », potentielle circonstance atténuante, « joue souvent contre des détenus perçus comme plus dangereux que les autres ».

Des peines réduites d'un tiers

L'ONG relève les efforts du législateur, avec en août 2014 une modification de la loi (article 122-1 du code pénal) qui permet désormais à un prévenu « affecté par une pathologie mentale au moment du crime de voir sa peine réduite d'un tiers », mais souligne des écueils persistants concernant les conditions de détention qui « ne tiennent pas compte de leur handicap » en « violation de leurs droits ». Le rapport recommande aux ministères de la Justice et de la Santé de mener une « nouvelle étude sur la santé mentale » des détenus, de « proposer une prise en charge plus adaptée » et de « ne pas placer en isolement » ces détenus fragiles.

© offfstock/Fotolia

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