Sophie Cluzel, secrétaire d'Etat au Handicap est, le 10 avril 2020, sous le feu des questions de sénateurs, invitée, dans un live vidéo, à répondre à une salve de questions portant sur le quotidien des personnes handicapées dans ce contexte si particulier de crise sanitaire. Une soixantaine de personnes sont connectées, de nombreux sénateurs prennent la parole. A l'instar de Philippe Mouiller (LR-Deux-Sèvres), certains saluent des « discours très volontaristes mais beaucoup de décalages avec les réalités du terrain » et des « bilans contrastés à l'échelle nationale » avec de vraies difficultés en matière de moyens matériels (masques, équipements) et humains (taux d'absentéisme élevé), mais aussi un manque de « coordination entre les départements et les ARS (agences régionales de santé) ». La ministre admet que cette crise, qui « met en exergue nos fragilités », est « révélatrice des difficultés que l'on a sur le terrain même en période de non crise ». Mais elle affirme être en « mode action/réaction », « preneuse de remontées de terrain extrêmement factuelles ».
Des soins négligés
Point sensible, l'accès aux soins est souvent évoqué, en très forte baisse en dehors des soins liés au Covid. Sophie Cluzel reconnaît que le « lien entre le médico-social et le secteur hospitalier est à travailler » et qu'il y a « des difficultés en matière de moyens humains », liées à l'absentéisme. Se pose, notamment, le problème de la prise en charge en kiné, le plus souvent mise en sommeil ; leur Ordre a tenté de rassurer ses membres, les encourageant à reprendre leur activité pour « limiter le sur-handicap ». Pour d'autres professionnels, la ministre admet que « c'est extrêmement différent de travailler hors les murs et d'aller vers » et qu'il leur a fallu « s'adapter très rapidement ». Face à eux, ce sont aussi certains patients qui refusent les soins car ils ne se sentent pas assez protégés.
Pénurie de masques
Pascale Gruny évoque ensuite, comme d'autres de ses confrères, la question de l'approvisionnement en masques dans le médico-social, constatant qu'il y a un « énorme décalage entre les discours du gouvernement et du préfet ». « Ce dernier dit, en gros : 'circulez, y'a rien à voir', ironise la sénatrice LR de l'Aisne. L'ARS explique que des millions de masques arrivent mais on ne sait pas où ça va. » Sophie Cluzel admet que « sur les foyers de vie et les hébergements, nous avons certainement une faiblesse, un manque, nous y travaillons. Tous les professionnels sanitaires, hospitaliers et médico-sociaux ont été priorisés. » Mais Pascale Gruny, regrettant que les personnes handicapées soient « toujours traitées en dernier et que les ARS ne parlent jamais de handicap lorsqu'on ne les sollicite pas », prévient : « Quid des personnes qui ont été atteintes par le Covid au début de l'épidémie parce qu'elles n'avaient pas de masques ? C'est un vrai sujet, les contentieux vont arriver... » Le président de l'Uniopss a d'ailleurs adressé un courrier à Edouard Philippe la veille, s'inquiétant que la responsabilité des directeurs d'établissements sanitaires, médico-sociaux et sociaux associatifs puisse être engagée. « Ils sont tenus d'assurer la sécurité des personnes accueillies et des salariés alors que, dans le même temps, les moyens de garantir cette sécurité ne sont pas disponibles », explique-t-il.
Du « cousu main » pour les aidants ?
Lors de cette audition, les aidants sont également au cœur des préoccupations. Sont évoqués les 700 enfants français sur les 1 600 expatriés en Belgique qui seraient de retour au domicile (très peu pour les adultes). Pour Michelle Meunier (Socialiste, Loire-Atlantique), ce confinement est parfois « intenable, voire même nocif ». Elle déplore une « différence entre le dialogue public et la réalité ». Sophie Cluzel assure qu'elle a une « approche pragmatique pour les aidants et les aidés », du « cousu main ». Une « stratégie des aidants » prévoit de mettre en place des solutions de répit de 7 à 14 jours. Rappelons qu'Emmanuel Macron a annoncé le 1er avril 2020 un aménagement des règles de confinement pour certaines personnes handiapées, en les autorisant à sortir « un peu plus souvent » et plus loin dans des lieux « porteurs de repères rassurants ». Mais pour les familles à bout ? « Pour celles ayant notamment des enfants autistes sévères avec des troubles importants », le « retour en internat est possible mais il faut que la famille soit consciente que ça sera jusqu'à la fin du confinement », explique Sophie Cluzel.
Alerte sur les refus de soins
Enfin, la question des décès « qui ne sont pas médiatisés », selon Philippe Mouiller, et de l'accès aux services de réanimation est dans la plupart des esprits. « Quid des tests sur les résidents en cas de suspicion de Covid-19 ?, questionne Michelle Meunier. Ce secteur est-il considéré comme prioritaire ? Je n'en suis pas sûre... » La ministre rappelle qu'Olivier Véran, son homologue de la Santé, a réaffirmé qu'en aucun cas le handicap n'était un motif de refus d'hospitalisation. « Nous voulons appuyer ce milieu hospitalier avec des fiches réflexes, en partenariat avec des associations pour accompagner l'hospitalier et le 15 à prendre en compte ces spécificités extrêmement complexes », a ajouté la ministre. Elle promet le « développement de partenariats qui va permettre d'améliorer cet accès aux soins » tandis que 34 consultations handicap dédiées sont mises en place pour assurer la liaison sanitaire et médico-sociale en cas d'hospitalisation. Enfin, en cas de refus de soins, Sophie Cluzel demande à être « alertée ».
Enfin, Jocelyne Guidez, sénatrice UC-Essonne, suggère de désolidariser les revenus du conjoint pour le calcul de l'AAH (allocation adulte handicapé) pendant la période de pandémie. Elle a notamment fait valoir que les ressources prises en comptes sont les revenus N-2 (deux ans auparavant), or certains conjoints ont vu, du fait de l'arrêt d'un grand nombre d'activités, leurs ressources diminuer, voire même s'interrompre brutalement. La ministre affirme avoir « bien entendu son appel ».