Mascara dans une main, blush dans l'autre, Brooke Eby, une américaine de 35 ans, est coutumière des « tuto maquillage » sur son compte TikTok. Sa dernière vidéo « make up » a pulvérisé son record d'audience avec plus de cinq millions de vues. Une popularité qu'elle doit notamment à la légende morbide qui accompagne sa publication : « Comment j'ai reçu ma 'condamnation à mort' à l'âge de 29 ans ? ». Derrière le sourire de façade et les traces de fond de teint, Brooke raconte à ses abonnés l'annonce de son diagnostic de sclérose latérale amyotrophique (SLA), qui lui promet une espérance de vie de trois à cinq ans après le début des symptômes.
Des maladies marginalisées mises en lumière
Depuis les premiers posts sur sa maladie, Brooke a vu le compteur du nombre d'abonnés s'emballer. Elle est devenue ce qu'on appelle une « sickinfluenceuse ». Ce néologisme (contraction de sick = malade et influenceur) désigne des créateurs de contenus qui fondent leur ligne éditoriale sur leur maladie ou handicap. SLA, syndrome d'Ehlers-Danlos, fibromyalgie, sclérose en plaques, endométriose… Des maladies jusqu'alors peu connues ou marginalisées bénéficiant désormais d'une visibilité nouvelle grâce à ces « influenceurs » qui les relaient. Nombreux sont ceux qui témoignent d'abord pour trouver du soutien et du réconfort derrière leur écran. Et, alors que les likes et les commentaires pleuvent, ces derniers vont jusqu'à se professionnaliser. C'est le cas de Brooke Eby, qui travaille désormais avec un agent et se fait reconnaître dans la rue.
Entre tabous brisés et conseils peu éthiques
Ils contribuent à ouvrir des espaces de dialogue entre pairs, partageant des expériences similaires, et brisent les tabous autour de leur pathologie. C'est le cas par exemple pour les maladies psychiques, de plus en plus représentées sur les réseaux sociaux et notamment sur TikTok. Leur activité est pourtant, depuis plusieurs mois, au cœur d'une polémique, aux Etats-Unis et au Royaume-Uni où les sickinfluenceurs sont massivement présents. La diffusion d'un documentaire sur la chaîne britannique Channel 4 a permis de lever le voile sur des pratiques douteuses. D'après ce film, certains de ces créateurs de contenu anglosaxons prodigueraient des conseils peu recommandables à leurs abonnés, notamment sur la façon de maximiser leurs prestations de maladie et d'invalidité.
Des dérives en Angleterre
Charlie Anderson, atteinte de rhumatisme psoriasique (atteinte inflammatoire de certaines articulations ou tendons), fait particulièrement parler d'elle. La quadragénaire a monté un business juteux dans lequel elle remplit à la place de ses clients des demandes de prestations d'invalidité, « pour 650 £ chacune », selon le Daily Mail. Une manœuvre qui, aux dires de la principale intéressée, risque de conduire certains à abuser du système. La médiatisation de l'affaire a ouvert un débat outre-Manche impliquant des associations dans le champ du handicap, notamment Disability rights UK. Ils dénoncent notamment la transmission d'une image dégradante des personnes handicapées perçues comme « profiteuses ».
Des réseaux-sociaux sans garde-fous
Plus largement, ce dossier met en lumière les potentielles dérives associées à l'usage des réseaux sociaux, sans garde-fous, dans le milieu de la santé. Il y a parfois une sorte de curiosité malsaine dans la façon dont tous ces followers suivent les aventures de leurs sickinfluenceurs préférés, certains en phase terminale, un peu comme un feuilleton de mauvais goût. En octobre 2024, Brooke a publié une vidéo dans laquelle elle montre la progression de la maladie, par le simple fait qu'elle ne parvient plus à lever ses bras au-dessus de ses épaules. Cela a entraîné une vague de nouveaux abonnés. « J'ai l'impression que les gens sont, en quelque sorte, attirés », constate-t-elle auprès du New York Times.
Le problème de l'autodiagnostic
Et puis il y a le risque d'autodiagnostic, dénoncé depuis plusieurs années par les médecins (Santé mentale : gare à l'autodiagnostic sur les réseaux). Si Google était, il y a encore peu de temps, le premier réflexe en cas de questionnement sur un quelconque symptôme, TikTok le devance désormais comme source d'information principale, notamment auprès des plus jeunes. Le risque ? Que ces internautes se basent uniquement sur les témoignages de semblables concernés pour poser un autodiagnostic sans consultation. Or, tous les contenus ne sont pas fiables et scientifiquement fondés.
Quid de la France ?
La polémique des sickinfluenceurs ne semble pas avoir pour autant traversé la Manche. En France, l'encadrement des pratiques numériques semble plus strict avec un contrôle permanent des « influ-voleurs » par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Aucun influenceur en situation de handicap français ne semble avoir été, pour le moment, épinglé.
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