Singularist, la toute 1ère agence de comédiens "singuliers"

Elle est à la tête de la toute 1ère agence artistique inclusive en France, "Singularist". Marie Mingalon milite, entre autres, pour une meilleure représentativité des personnes handicapées dans l'audiovisuel. Une mission de longue haleine...

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Handicap.fr : Comment est née l'idée de créer Singularist, une agence inclusive ?
Marie Mingalon : Avec mon associée, Laura Kaim, nous arrivions à un moment de notre carrière où nous voulions continuer à travailler pour le cinéma mais en y ajoutant du sens. On a eu vent d'une série qui cherchait un acteur en situation de handicap pour interpréter un personnage en situation de handicap. Les producteurs s'y étaient pris un peu trop tard et n'avaient pas trouvé la personne idéale. Quand on a regardé dans les autres agences, on s'est rendu compte que les personnes en situation de handicap étaient assez peu représentées. Ça a fait tilt ! Singularist est née le 30 juin 2021. En un an, 80 talents nous ont rejoints, 20 % d'entre eux sont en situation de handicap, qu'il soit moteur, mental ou psychique. Ainsi, notre agence est le reflet du monde dans lequel on vit. Parmi eux, quelques têtes connues comme Mayane Sarah El Baze, porteuse de trisomie 21, qui a joué dans une série Netflix aux côtés de l'humoriste Nawel Madani, ou encore Mathieu Hannedouche, malentendant, et Angèle Rohé, comédienne avec autisme, qui ont performé aux côtés de Théo Curin dans le film « Handigang » (article en lien ci-dessous). Ils ont tous trouvé leur place aux côtés de talents appartenant à la communauté LGBTQI+, issus de la diversité culturelle... On ne voulait pas d'une « agence de freaks », avec d'un côté des personnes en situation de handicap et de l'autre celles dites valides.

H.fr : Etes-vous la seule en France ?
MM : Nous sommes effectivement la première agence inclusive en France. Il existe d'autres agences artistiques qui collaborent avec des comédiens en situation de handicap mais nous avons réellement développé une expertise dans ce domaine. Aujourd'hui, des sociétés de production font appel à notre pôle de consultants pour intervenir sur des questions liées au handicap dans divers scénarios ou dans des annonces de casting. L'objectif est de ne plus tomber dans certains stéréotypes. Récemment, un producteur m'a appelée pour savoir si je connaissais une personne malvoyante pour relire un scenario qui fait notamment intervenir un personnage déficient visuel. Je l'ai mis en relation avec l'une de mes connaissances, non-voyante, et elle a été embauchée sur la série en tant que relectrice. Outre-Manche et Atlantique, cette pratique est très répandue depuis des années, la France n'est donc pas en avance !

H.fr :  Quel est votre « plus » par rapport à une agence artistique classique ?
MM : Même si l'adjectif « inclusif » est présent, on reste bel et bien une agence artistique. On croit en nos artistes, on les défend, comme n'importe quel agent. On est simplement un peu plus « attendus au tournant ». Nous devons faire comprendre que les comédiens en situation de handicap que nous représentons sont des professionnels. C'est plus dans l'organisation du tournage que cela se corse. On déplore souvent qu'il n'y ait pas de livre blanc pour encadrer la question du handicap au sein de notre profession. Nous prenons donc beaucoup de temps en amont pour expliquer chaque handicap, ses caractéristiques et ce qu'il implique sur le terrain. Il faudra par exemple anticiper les lieux inaccessibles pour les personnes en fauteuil roulant sur les sites de tournage ou de cantine et d'hébergement. Certains artistes autistes sont, quant à eux, sensibles au bruit, ce qui nécessite de mettre à leur disposition des casques. Ce ne sont pas des caprices de stars, simplement des besoins en lien avec leur différence. J'ai la chance d'être entourée de personnes référentes, des psychologues pour les questions d'ordre psychique, mental et des proches concernés par d'autres handicaps comme la déficience visuelle. Et puis j'adapte au cas par cas. J'apprends à connaître leurs limites, à repérer leur fatigue, à imposer des heures de repos obligatoires. Il est nécessaire d'adapter certaines clauses des contrats en fonction de ces données individuelles.

H.fr : La création de votre agence est-elle une réponse à un besoin, à la demande d'une meilleure représentativité des personnes en situation de handicap ?
MM : Il y a effectivement de plus en plus de demandes en ce sens. Récemment, lors du festival « Séries Mania », nous avons animé une conférence autour de l'écriture des personnages en situation de handicap. Après notre intervention, des auteurs et scénaristes confirmés sont venus nous voir pour nous remercier. La plupart nous ont confié n'avoir jamais pensé l'aborder dans leurs films puisqu'ils n'étaient pas eux-mêmes directement concernés.

H.fr : Pourquoi surtout des acteurs valides pour incarner des personnages en situation de handicap ?
MM : C'est en train de changer. Cette question est de plus en plus soulevée par les professionnels qui entament des démarches pour trouver des comédiens en situation de handicap visible ou invisible. Imaginer tourner La famille Bélier avec des acteurs valides serait inconcevable en 2022. Avec du recul, on voit de très nombreuses erreurs d'interprétation chez certains acteurs entendants qui signent dans le film. Le remake américain Coda est un magnifique exemple de ce que l'on peut faire. Dans certains cas, cependant, il y a des rôles qui nécessitent des caractéristiques bien précises, difficiles à dénicher. Si les productions ne trouvent pas, ils se tournent alors vers des comédiens valides.

H.fr : Y a-t-il un travail de sensibilisation à faire auprès des directeurs de casting, producteurs, réalisateurs ? Que pensent-ils de votre agence ?
MM : L'agence est très bien accueillie par les différents acteurs de l'industrie. Ceux qui montrent encore une certaine indifférence -et c'est une minorité- nous expliquent qu'ils ne voient pas l'intérêt de faire jouer des artistes handicapés puisque les « comédiens peuvent tout jouer ». Or le problème n'est pas là. On leur répond souvent que, s'ils partent de ce principe, alors ils ne leur laisseront jamais de place. L'idée d'instaurer des quotas ne nous réjouit pas mais ne sont-ils pas nécessaires pour faire avancer de manière significative l'inclusion dans l'audiovisuel ? Une directrice de casting me disait : « Si j'ai besoin d'un paysan dans un film, je prends un paysan. Si j'ai besoin d'un acteur en situation de handicap, c'est la même chose. Il jouera forcément mieux qu'une personne qui n'y a jamais été confrontée ».

H.fr : Avez-vous l'espoir que ces acteurs soient choisis pour d'autres rôles, sans lien avec leur handicap ?
MM : C'est ce qu'on essaie de faire. L'un de nos jeunes talents, Oxandre Peckeu, est à l'affiche de la série adolescente Askip, dans laquelle il raconte sa vie de collégien. La série ne fera pas mention de sa main bionique, c'est juste un ado parmi tant d'autres. On essaie de sensibiliser tout le monde. Quand un film est bien fait avec la présence d'un personnage handicapé, le spectateur peut ne pas s'en rendre compte. Parce que c'est juste la vie. Quand on se balade, on ne va pas faire attention aux personnes « singulières » qui nous entourent. Eh bien, au cinéma, ça devrait être pareil.

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Clotilde Costil, journaliste Handicap.fr"
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