Sourds et aveugles : cap difficile vers l'école ordinaire ?

Alors que les Instituts nationaux de sourds et aveugles défilent à Paris le 4 avril pour défendre le libre choix de l'institut ou du milieu ordinaire, le secrétariat au Handicap réaffirme sa feuille de route. Rénovation souhaitée !

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Handicap.fr : Pourquoi cette crainte se fait-elle entendre depuis quelques mois de la part des syndicats et des parents de jeunes accueillis au sein de ces instituts nationaux (lire article complet sur la mobilisation en lien ci-dessous) ?
Cabinet de Sophie Cluzel, secrétaire d'Etat au handicap : Elle ne date en effet pas d'aujourd'hui et a commencé à germer sous le précédent gouvernement, en réaction à des propositions d'adaptation du cadre de fonctionnement des instituts. C'est d'ailleurs pour y répondre qu'a été commandité un état des lieux approfondi, en accord avec les organisations syndicales. C'est pour tenir cet engagement que nous avons confirmé cette commande aux inspections concernées, avec les ministres de l'Education nationale et de la jeunesse, et des Solidarités et de la Santé. Le rapport conjoint de l'Igas (Inspection générale des affaires sociales) et des deux inspections du ministère de l'Education nationale remis en mai 2018 offre un bilan contrasté d'instituts héritiers d'une longue histoire mais qui pâtissent d'une forme d'isolement, d'un manque de travail en réseau et de cadres de gestion devenus inadaptés.  

H.fr : Ce rapport juge que le fonctionnement de ces instituts est ancien et doit être rénové…
CSC : Il dit en effet clairement que « l'immobilisme n'est pas envisageable » et indique que « la poursuite des missions confiées aux instituts pour favoriser la scolarisation des jeunes déficients sensoriels exige plusieurs évolutions, portant notamment sur la rénovation de leur gouvernance, la modernisation de leur cadre budgétaire et comptable, ou permettant une plus grande responsabilisation dans la gestion de leurs personnels ».

H.fr : Mais c'est surtout l'accompagnement des élèves qui est au cœur de ses préoccupations…
CSC : Bien sûr. Le cadre de gestion n'est pas l'essentiel. La question centrale est celle de la qualité d'accompagnement des élèves et de son adaptation à l'évolution de leurs besoins, conformément au cap que s'est fixé le gouvernement, c'est à dire une scolarisation en milieu ordinaire. Ce sont des institutions anciennes qui ont émergé dans un contexte historique très particulier et qui ont constitué, pour les plus anciens, le mode de scolarisation privilégié des jeunes déficients sensoriels alors exclus de l'école. Ces instituts sont porteurs d'une histoire et d'une culture qui sont extrêmement fortes et, d'une certaine manière, garants du droit à la scolarisation de ces jeunes. Personne ne conteste leur légitimité, mais ils sont régis par des textes maintenant trop anciens (les décrets datent de 1974), bien antérieurs à l'impulsion donnée par la loi de 2005 et les avancées très fortes de la scolarisation inclusive.

H.fr : Ils étaient, en leur temps, presque trop en avance…
CSC : Leur création a été déterminante et a eu un rayonnement considérable. Mais il faut maintenant s'interroger pour savoir si leur mode d'accompagnement a évolué en rapport avec leur environnement, et dans quelle mesure les textes qui les régissent restent adaptés aux besoins actuels. Les jeunes qui y sont accueillis ont rencontré, pour beaucoup, à un moment donné, des difficultés avec un système scolaire classique pas toujours adapté, avec des modes d'accompagnement hétérogènes. Ils ont poursuivi leur cursus au sein de ces instituts qui ont fait évoluer plus ou moins fortement leurs réponses, certains avec des démarches plus inclusives que d'autres. Les INJ parisiens ont, par exemple, un taux de scolarisation de 65 % en interne, de 20 points supérieurs à la moyenne des INJ, alors qu'il n'est désormais que de 40 % en province, où les INJ pratiquent davantage la scolarisation en unité externalisée ou en scolarisation individuelle.

H.fr : Certains professionnels doivent donc faire évoluer leurs pratiques ?
CSC : En effet, dans certains établissements, tels que celui de Metz, des jeunes ont de plus en plus de déficiences associées, qui interrogent aussi les professionnels qui les accompagnent. Il est utile de demander s'ils sont assez outillés pour faire face à cette diversité. Nous reconnaissons leurs compétences et leur qualité d'engagement, mais la demande évolue ainsi que les besoins des élèves. Nous voulons que cette ressource soit aussi mobilisée en appui de l'école inclusive, comme les INJS de Bordeaux ou de Chambéry le font de plus en plus. Ces professionnels ont des savoir-faire et des compétences exceptionnels. Nous continuerons à en avoir besoin, pas question ni de les fermer, ni de remettre en cause leur statut national. Ce dernier doit être un label de qualité ; or le rapport de l'Igas nous dit, qu'aujourd'hui, les conditions ne sont pas complètement réunies. Ce qui implique de travailler davantage sur les territoires, avec les professionnels, encore plus intensément qu'on ne l'a fait. Pour Sophie Cluzel et Jean-Michel Blanquer (ministre de l'Education nationale et de la Jeunesse), ce label s'inscrit dans une école inclusive qui implique que les professionnels soient encore plus tournés vers l'accompagnement de leurs élèves en milieu ordinaire.

H.fr : Vous considérez donc qu'il faut ouvrir davantage les portes ?
CSC : Le rapport a fait un certain nombre de propositions, en affirmant que le statut quo n'est pas possible. Ce n'est ni tout noir ni tout blanc et certaines évolutions sont en effet nécessaires... Ce label national est une garantie de qualité que le gouvernement entend préserver mais il n'interdit pas de réfléchir à la manière dont ces instituts s'inscrivent dans un paysage local et coopérèrent avec l'école, pour articuler au mieux leur offre d'accompagnement. Plusieurs instituts se sont plus ou moins lancés dans cette réflexion. Les ministres ont demandé aux directeurs de ceux qui étaient très avancés, de vérifier que leur projet s'inscrivait bien dans les axes désignés par le rapport ; et, pour ceux qui l'étaient moins, de requestionner leur projet pour définir une feuille de route.

H.fr : Un argument avancé par l'intersyndicale, c'est le risque de réduire les allers-retours entre le milieu ordinaire et spécialisé ?
CSC : Notre objectif, bien au contraire, est de permettre des parcours plus fluides. Nous considérons que la liberté de choix des parents est complète.

H.fr : Le bilinguisme (français/langue des signes) est-il aujourd'hui la règle ?
CSC : Oui, y compris au sein de l'école inclusive, l'objectif étant que les jeunes sourds puissent parfaitement être formés et communiquer en LSF. Ce qui nécessite qu'il y ait des regroupements au sein des écoles pour leur permettre de pratiquer avec leurs pairs.

H.fr : L'intersyndicale qui est à l'origine de la grève du 4 avril déplore la « suppression de certains dispositifs de manière précipitée et réalisée sans concertation nationale » ?
CSC : Nous ne savons pas de quoi il s'agit. Pour le moment, il n'y a aucune suppression d'aucune sorte. Les directeurs ont été invités à questionner leur fonctionnement de manière très concertée avec leur conseil d'administration et les représentants des professionnels, afin de nourrir les travaux qui doivent être conduits pour refondre ce cadre, aujourd'hui, trop rigide.

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr.Toutes les informations reproduites sur cette page sont protégées par des droits de propriété intellectuelle détenus par Handicap.fr. Par conséquent, aucune de ces informations ne peut être reproduite, sans accord. Cet article a été rédigé par Emmanuelle Dal'Secco, journaliste Handicap.fr"
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