Sourds : ces masques qui empêchent de communiquer

Avec un masque, comment se faire comprendre d'une personne sourde qui lit sur les lèvres ? Face à la généralisation probable de ce type de protections, la communauté sourde se dit "inquiète". Quelles solutions, notamment en cas d'urgence ?

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8 avril 2020, la ville de Sceaux (Hauts-de-Seine) prend une décision inédite : le port du masque obligatoire pour tous ses habitants, emboîtant le pas à la Lombardie (Italie) qui l'a imposé deux jours auparavant. Bordeaux envisage d'en faire autant. Cette précaution pourrait bien être généralisée à toute la France d'ici peu, a fortiori quand viendra le temps du déconfinement.

Privés de communication

Il est un public qui pâtit de cette situation, les personnes sourdes et malentendantes qui pratiquent au quotidien la lecture labiale ou s'appuient sur l'expression du visage. Dans ce contexte, une Américaine a eu une idée étonnante, un masque avec une fenêtre en plastique transparente au niveau de la bouche qui permet de lire sur les lèvres (article en lien ci-dessous). Mais avant que cette idée ne fasse son chemin, les personnes sourdes risquent, bien plus qu'à l'accoutumée, de se sombrer dans un « silence » assourdissant. Pharmaciens, caissières, médecins, forces de l'ordre, tous sont désormais équipés, créant une « barrière » qui compromet la communication. Maeva témoigne de la mauvaise volonté de sa pharmacienne, qui pourtant la connait très bien, dans Le Parisien : « Elle râlait quand elle devait ôter son masque et le remettait aussitôt ».

Une communauté inquiète

Cette « inquiétude » se manifeste dans la communauté sourde, reconnait Cédric Lorant, président d'Unanimes, qui regroupe des associations de personnes sourdes. « Les différents masques ou objets alternatifs comme les écharpes ou tout bout de tissu semblent devenir la norme ». Et peut-être pour longtemps… Il dit « s'appuyer sur des experts en santé pour trouver la meilleure approche que pourront avoir les personnes en difficulté de communication ». Quand certains prônent de baisser le masque en respectant, évidemment, les gestes barrière et les distances de sécurité imposées, d'autres suggèrent l'écrit ou l'utilisation d'outils de transcription automatique ou la Langue des signes française (LSF). « Aucune règle ou préconisation ne sont connues à ce jour, et nous continuerons à nous mobiliser pour rassurer et accompagner les personnes concernées », ajoute-t-il. 

Urgences : parcours du combattant

Ce problème s'avère plus crucial encore en cas d'accès aux soins d'urgence. Marianne Queval, habitante de Valenciennes (Nord), malentendante à 80 %, contaminée par le Covid-19, témoigne dans une longue vidéo de son accueil à l'hôpital. « Je leur demande de baisser le masque. Refus catégorique ». La jeune femme réclame alors la possibilité d'écrire. Refus net aussi car elle n'a pas de gants. « J'avais l'impression d'être une petite fille perdue en plein milieu de la mer, complètement noyée », déplore-t-elle. Elle poursuit : « Je comprends que les médecins ne veuillent pas prendre de risque mais ils pouvaient faire l'effort d'écrire, il faudra trouver une solution pour les futurs patients sourds ». « Les urgences peuvent être synonymes de parcours du combattant à cause de la détérioration, de l'interdiction ou de l'impossibilité d'utiliser nos équipements comme les appareils auditifs (contours d'oreille ou implant cochléaire) ou les lunettes ou lentilles qui nous permettent de garder le contact visuel, ajoute Cédric Lorant. La position du patient sourd peut être rédhibitoire car le personnel soignant doit se focaliser sur les soins. La bousculade, la précipitation ou les manipulations peuvent être sources d'angoisses. La prise de décision sur un acte chirurgical ou médical peut être fortement dégradée voire inexistante ». Même contrainte en cas de téléconsultation, le patient sourd ne parvenant pas à lire sur les lèvres à distance. Sollicité sur la possibilité de mettre en place un tchat, afin de communiquer par écrit, la plateforme Doctolib a répondu que « pour l'instant ce dispositif n'existait pas ».

Quelles solutions ?

Tout d'abord signaler de manière explicite sa surdité en indiquant la présence d'un équipement de correction auditive ou en signant en LSF. « L'équipe soignante ou le personnel d'accueil doivent en tenir compte dès le départ et le considérer sur l'ensemble du parcours de la personne, souligne Cédric Lorant. La personne sourde ne doit pas avoir à rappeler à chaque intervenant son handicap auditif. La considération du handicap avec des réponses adaptées est un élément rassurant. » Le recours à des interprètes en LSF ou à des médecins qui connaissent cette langue est à privilégier, avec néanmoins quelques bémols puisque l'intonation et l'expression du visage ont aussi leur importance… Pour autant, combien sont-ils à la maîtriser ? Il existe des Unités d'accompagnement et de soins pour sourds (UASS) en France qui placent la LSF au cœur des échanges ; c'est notamment le cas au sein du CHU de Grenoble qui dit avoir mis en place un « protocole spécifique pour accueillir ceux qui sont suspectés d'être atteints par le coronavirus » et a réalisé des vidéos en langue des signes adaptées à la crise sanitaire. Quant au collectif Signes et paroles, il a mis en ligne sur son site une fiche de communication en LSF, destinée à l'accueil des personnes sourdes à l'hôpital (en lien ci-dessous).

Des n° d'aide accessibles

Rappelons, enfin, qu'il existe un numéro dédié aux personnes sourdes, le 114, l'équivalent du 15, qui leur permet de signaler un danger par SMS. Mais les temps de prise en compte sont parfois trop longs, attestent certains usagers, qui n'ont pas permis de répondre à leur situation d'urgence (article en lien ci-dessous). Quant aux opérateurs des télécoms, ils offrent deux heures de communication adaptée à leurs clients malentendants, via leur centre relais téléphonique (article en lien ci-dessous).

De son côté, la Croix-Rouge française a renforcé certaines de ses activités pour répondre à l'urgence sanitaire et sociale (secours, maraudes, centres d'hébergement pour sans-abri, distribution alimentaire). Elle complète aujourd'hui sa réponse avec « Croix-Rouge chez vous », un dispositif qui s'adresse aux personnes vulnérables confinées en situation d'isolement social. En appelant le 09 70 28 30 00, disponible 7j/7 de 8h à 20h, elles pourront bénéficier d'une écoute et d'un soutien psychologique, d'informations sur la situation, mais aussi de la possibilité de commander des produits de première nécessité livrés par des volontaires de la Croix-Rouge. Ce dispositif est désormais accessible aux personnes sourdes ou malentendantes. Un opérateur pourra retranscrire les échanges en proposant 3 modes de communications (la transcription instantanée de la parole, la langue des signes française ou le langage français parlé complété). Il suffit de se connecter sur les sites www.croix-rouge.fr, www.acce-o.fr ou sur l'application mobile ACCEO.

3 questions à Cédric Lorant

• Le 114 est-il capable de répondre aux urgences ?
Le 114, disponible d'abord sous sa forme SMS et Fax, a évolué ces derniers mois avec une plateforme d'échanges en direct par écrit ou LSF. Il traite toutes les demandes d'urgence de tout type en posant une première série de questions. En fonction des réponses, il se mettra en relation avec le bon service d'urgence : police/gendarmerie, pompiers, SAMU ou tout autre service disponible. Le temps de traitement est identique que pour une personne lambda qui contacterait directement les services « classiques ». Depuis la crise du Covid-19, le 114 est également disponible pour traiter les problèmes de violences conjugales ou intrafamiliales (article en lien ci-dessous) -son canal SMS est réputé pour être discret par rapport aux appels téléphoniques.

• D'autres problématiques pour le public sourd, notamment l'annulation des RV médicaux liés au suivi régulier ?
Les personnes sourdes ne connaissent pas de difficultés particulières sur ce point, sauf celles ayant un handicap associé. En cas de rendez-vous pour raison médicale, il est maintenu. Quant aux centres d'audioprothésistes, ils se sont organisés pour ouvrir quelques antennes afin d'assurer les réparations urgentes d'appareillage. L'achat de piles ou de batterie doit être anticipé sur Internet, dans les pharmacies/parapharmacies ou les quelques centres d'audioprothésistes.

• Y-a-t-il une meilleure couverture médiatique de cette crise en Langue des signes ?
Depuis le début de la crise, nous avons pu constater le recours important à la LSF -dans les premiers jours, l'utilisation d'un petit médaillon était encore la norme comme pour les journaux télévisés. Depuis fin mars, la présence « en grand » de l'interprète LSF aux côtés du Président de la République (allocutions télévisées des 26 mars à Mulhouse et 31 mars à Saint-Barthélemy d'Anjou), aux côtés du ministre de la Santé, Olivier Véran, et de son directeur général, Jérôme Salomon pour le bilan journalier est appréciée et reconnue. La rediffusion de ces interventions permet d'amplifier cette accessibilité tant attendue et précisée par les associations lors de la dernière Conférence nationale du handicap le 11 février 2020, notamment pour les événements exceptionnels. Outre l'amplification de la LSF, nous maintenons le souhait de recourir également au sous-titrage visible par tous (comme ce fut le cas pour les deux interventions du Président de la République les 12 et 16 mars derniers avec la vélotypie en « dur »). Bien que les chaînes de télévision sous-titrent ces allocutions lors de la diffusion en direct, leur rediffusion sur les réseaux sociaux reste pour la plupart dépourvue de sous-titrage. La continuité de l'accessibilité doit être prise en compte.

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