Sur les réseaux, le handicap est-il devenu bankable?

Sur Instagram, le hashtag #handicapé récolte plus de 22 millions de références. Preuve que le sujet suscite l'intérêt, notamment en matière de marketing d'influence. De plus en plus d'influenceurs handicapés se frayent une place sur la Toile.

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Sur sa page TikTok, @Lil.skuna affole les compteurs de likes. Casquette vissée sur la tête, il parade face caméra avec son fauteuil qu'il fait bouger au son d'un rap français populaire. Suivi par plus de 500 000 abonnés, le créateur de contenu âgé de 21 ans s'est fait une certaine notoriété auprès des 15-25 ans avec ce mantra : « Le handicap n'est pas une fin en soi ». Son credo ? L'autodérision. En légende de l'une de ses dernières vidéos, il assume avec ironie « utiliser son handicap pour faire des vues ». Il semble bien loin le temps où TikTok était accusé de modérer de façon douteuse les contenus de personnes handicapées ou « avec des formes de corps anormales » (article en lien ci-dessous). Cette polémique date d'à peine deux ans et, pourtant, la plateforme chinoise pourrait bien avoir changé son fusil d'épaule. Comme @Lil.skuna, de plus en plus d'influenceurs handicapés se frayent une place sur la Toile tandis que des agences spécialisées voient le jour.  

Opération dépoussiérage

Aujourd'hui, l'algorithme d'Instagram tend à s'ouvrir un peu et donne à voir autre chose que l'image aseptisée qu'on lui connaît. Des corps et des visages différents ont émergé dans un mouvement « body positive », assumant poils, bourrelets et autres « défauts » d'ordinaire retouchés sur papier glacé. Dans ce même élan, des personnes avec prothèses ou en fauteuil roulant s'affichent désormais. Des agences d'influenceurs ont flairé le filon. Opend Destiny Agency en a justement fait l'une de ses spécialités. Âgée d'à peine six mois, elle accompagne deux influenceurs en situation de handicap, dont @Lil.skuna. Si son discours est encore en phase de rodage, l'objectif semble clair : « Parler du handicap sans filtre, de façon incarnée et, surtout, à travers le quotidien de personnes directement concernées », affirme Dimitri Laurencine, son cofondateur. Et rien de tel que les réseaux sociaux pour s'en emparer (article en lien ci-dessous). « Aujourd'hui, l'éducation se poursuit sur ce canal. Je ne dis pas qu'il n'y a pas d'associations pour parler du handicap mais le fait est que les jeunes passent du temps sur les réseaux sociaux. C'est donc là qu'il faut être », théorise-t-il. À voir le nombre d'abonnés que cumulent certaines « têtes d'affiche » en situation de handicap, il est clair que le sujet ne laisse pas indifférent :  600 000 abonnés pour @DouzeFevrier, grande brûlée, 91 000 pour @el_marticino, mannequin tétraplégique, ou encore 720 000 pour @ElsaMakeup, influenceuse beauté paraplégique.

Une « sensibilisation différente de celle du Téléthon »

« Le public a toujours été là mais personne ne donnait d'espace à ces nouveaux influenceurs pour s'exprimer », affirme à son tour Armand Loiodice de Montis, fondateur de Beyond Media. Cette agence créée en 2019 accompagne deux des trois influenceurs cités plus haut, au milieu des fitness girls et autres surfers comme Instagram en compte des milliers. Pour son fondateur, aucune distinction dans ce portefeuille de créateurs de contenus : « Ils ont des parcours de vie différents, c'est tout », qui ne semblent plus laisser les marques insensibles... Dans l'une de ses récentes vidéos sponsorisées, @el_marticino ouvre les portes de son intimité. Et c'est ce qui plaît. Il se filme au réveil, marque un temps d'arrêt à la machine à café dernier cri, gros plan sur la marque écrite en toutes lettres. L'occasion de glisser un message publicitaire avec un clin d'œil discret sur le handicap : « Comme vous, je me lève le matin (…). Je fais tout comme vous mais avec un peu plus de difficulté. Mais, comme vous, j'aime avoir le droit à la facilité ». « Quoi de mieux qu'une superbe machine à café, d'une grande praticité, pour bien commencer la journée ? » poursuit-il dans la légende qui accompagne la vidéo.

Oui, le handicap devient rentable pour les marques (article en lien ci-dessous), « car il est vecteur d'émotions », explique Armand Loiodice de Montis, avant de tempérer : « On tient à ce que ces influenceurs parlent du produit parce qu'ils l'aiment ». De son côté, Dimitri Laurencine l'assure, le placement de produit est « un moyen, pas une fin ». « L'objectif n'est pas d'amasser les abonnés mais de faire un travail de sensibilisation différente de celle qu'on voit au Téléthon. C'est super d'être invité en tant que personne handicapée mais il faudrait néanmoins qu'elle le soit, aussi, en dehors du sujet handicap. »

Ne parler que du handicap ?

Antoine Keraudy, alias « Antoine un handicapé » sur Linkedin, défend visiblement un autre point de vue. Lui a choisi d'occuper la plateforme dédiée au monde professionnel, « plus sérieuse » et « fiable » à son goût. Avec ses 20 000 abonnés, il cherche à toucher en premier lieu les personnes handicapées, les aidants, les professionnels de la santé, des personnes « qui ont la chance de ne pas être touchées par le handicap mais qui veulent s'intéresser à ce sujet ». Il se défend d'être dans une logique marchande et promeut des initiatives dans le domaine du handicap et de la santé, sous la houlette des Années folles, une agence BtoB spécialisée dans le média Linkedin. Partage d'articles d'information, publication de capsules vidéo sur différents sujets (emploi, soins, démarches administratives…) constituent ses principales missions. Le mélange des genres, très peu pour lui : « Je vois souvent des personnes en situation de handicap qui relaient des concours pour faire gagner des poêles et des casseroles, quel rapport ? ».

Et alors ? Pour aller dans le sens des propos de Dimitri Laurencine, pourquoi les personnes handicapées seraient-elles cantonnées à ne parler que du handicap, cette sacro-sainte « cause » qu'il faudrait défendre ? Faire et être comme tout un chacun n'est-il pas l'enjeu d'une société inclusive qui ne se limite pas à l'entre-soi ? In fine, qu'ils soient promoteurs de vaisselle, de produits de beauté ou simples relais d'information, ces influenceurs, en visant un maximum d'audience, participent à la visibilité du handicap sur les réseaux sociaux. Une démarche extrêmement positive… jusqu'à devenir banale ?

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Clotilde Costil, journaliste Handicap.fr"
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