Synesthésie : ils perçoivent le monde en sous-titres

Il n'y a pas que le cinéma qui produit des sous-titres. Certaines personnes "synesthètes" visualisent une traduction, synchrone avec le dialogue, au niveau de leur écran... mental. Un trait atypique mais pas pathologique.

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Ils sont désormais partout. Là où l'image est reine, les sous-titres ne sont jamais loin. Chez certaines personnes, ils sont mêmes innés, automatiquement et involontairement créés dans leur cerveau. Mélodies, discours d'une célébrité au journal télévisé, confidences d'un ami, miaulement d'un chat… Une poignée de personnes transcrivent les paroles entendues sous forme de texte dans leur « cinéma mental ». Cette particularité cognitive ne peut être considérée comme un handicap mais est suffisamment intrigante pour qu'on s'y attarde. Elle porte un nom : synesthésie.

Première découverte : un cousin de Darwin

Identifié pour la première fois en 1883 par l'anthropologue Francis Galton, cousin de Darwin, ce phénomène neurologique subjectif et « non pathologique » d'après le Vision cognition laboratory de l'Université de Boston, est considéré comme un trouble de la perception qui associe au moins deux sens lors du traitement d'une information sensorielle. Or, si la communauté scientifique s'y intéresse depuis plus d'un siècle, le mystère du tickertaping en anglais reste (quasi) entier. Une première étude menée en 2015 et publiée dans la revue Cognitive neuroscience avait commencé à défricher le sujet, estimant que 1,4 % de la population pouvait en faire l'expérience. Un chiffre qui reste cependant incertain puisqu'il est très difficile de détecter cette particularité invisible chez les sujets concernés, qui ne savent généralement pas qu'ils se distinguent du commun des mortels. Sept ans après la première étude sur le sujet, une nouvelle enquête publiée le 17 décembre 2022 dans la revue Cortex, va plus loin.

Apparaît dès l'enfance

En menant une « phénoménologie de la synesthésie des sous-titres » (SST), Fabien Hauw et Laurent Cohen, neurologues à l'Institut parisien du cerveau et auteurs de l'étude, espèrent ainsi « mieux comprendre comment notre cerveau fait le lien entre les sons, les lettres, les mots et leur signification ». Vingt-six personnes qui présentent une SST et dont le français est la langue natale ont été interrogées au cours de cette enquête. Leur point commun ? Ils perçoivent chaque mot comme s'il était transcrit sur une longue bande de papier imaginaire, comme on en utilise sur les instruments télégraphiques. L'objectif de ce sondage ? Identifier dans quel contexte et sous quelle forme ce phénomène apparaît -pour 73 % des cas, celui-ci a émergé au cours de l'acquisition de la lecture, durant l'enfance.

Un avantage et une nuisance

Les scientifiques cherchent également à savoir si la SST présente un avantage ou un inconvénient au quotidien. A cette dernière question, les chercheurs ont découvert que près de la moitié des participants vivent cette caractéristique à la fois comme un avantage et une nuisance. Si elle joue un rôle d'aide-mémoire, elle perturbe également leur attention, notamment dans les lieux très fréquentés avec plusieurs conversations simultanées. Autre révélation surprenante, la forme des sous-titres peut être altérée en cas d'émotions très fortes. « Quand je suis bouleversé, les lettres deviennent floues, ou tremblent », rapporte l'un des participants. Plus étonnant encore, certaines personnes expliquent voir apparaître un double sous-titrage lorsqu'elles visionnent un film lui-même sous-titré. D'autres vont même jusqu'à rêver ou cauchemarder en sous-titres !

Une forme de lecture inversée

Difficile de connaître l'origine exacte de la synesthésie des sous-titres. En revanche, plusieurs pistes sont évoquées, à commencer par le facteur génétique. Grâce à l'utilisation d'IRM, les chercheurs sont parvenus à montrer que certaines zones du cerveau d'un « synesthète » étaient activées, notamment dans l'hémisphère gauche, des régions responsables de la parole ou encore liées à l'orthographe et qui sont impliquées dans la lecture d'un texte. « Ce phénomène appuie l'idée selon laquelle la synesthésie des sous-titres correspondrait à une forme de lecture inversée ; au lieu de se contenter de traduire les mots écrits en sons, ces personnes convertissent automatiquement les sons en mots écrits », précisent les neurologues.

Un développement atypique de l'alphabétisation

Ils estiment que la SST correspond à un développement particulièrement atypique de l'alphabétisation, au même titre que la dyslexie, une forme opposée de variation des performances de lecture. « Nous pensons que la SST est le fruit d'un système de traduction des phonèmes en graphèmes, c'est-à-dire des sons en lettres, trop performant », détaille Laurent Cohen. En d'autres termes, chez ces personnes, la connexion entre les représentations mentales de la phonologie, soit l'étude des sons, et de l'orthographe est exagérée. Comprendre les mécanismes d'apprentissage de la lecture et de l'écriture, notamment via la SST, permettrait ainsi à la recherche « d'aider les enfants chez qui cette acquisition de base reste difficile », estiment les chercheurs.

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Clotilde Costil, journaliste Handicap.fr"
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